Aujourd’hui sort le génial Safari Disco Club de Yelle, l’une des plus excitantes oeuvres de pop culture du moment : de la hype étriquée à la gloire mondiale, de Saint-Brieuc à Coachella, interview à New York avec GrandMarnier et Julie pour comprendre le phénomène.
Vous pensez être correctement compris, en France ? On vous aime ou on vous déteste, et souvent pour de mauvaises raisons, parce que vous êtes trop populaires ou trop indés…
Julie : Justement, on ne veut pas choisir. Et c’est justement ce qui emmerde les gens.
JF : On a commencé par être un truc assez précis, par jouer au Paris Paris, par être suivi par une petite scène très parisienne. Et c’est comme si on avait déçu ces gens là en devenant populaires, mais devenir populaire ne nous a pas ensuite empêché de faire A cause des garçons avec Kitsuné… On a sans doute perdu des gens pendant notre évolution, d’autres qui ont été agacés de trop voir la tronche de Julie à un moment : il y a toujours des gens qui te détestent, surtout quand tu es surexposé, et surtout en France. On est mal compris en France justement parce qu’on ne se comporte pas comme des Français. Ca vient profondément de notre culture musicale, notre culture pop, peut-être par notre culture non-parisienne. On est fascinés quand Snoop Dogg fait une pub pour du poulet… On a clairement écouté de la musique américaine, on a toujours voulu qu’il y ait un aspect entertainment dans notre musique. On adore toute cette culture dans le rap, l’univers des marques qui s’y intègre, un film comme Wayne’s World, avec des placements de produits hyper évidents… Tout ça nous a fait, dans nos racines et nos aspirations profondes. Et c’est purement un comportement ricain, quelque chose qui ne passe pas forcément en France.
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Vous êtes en France ultra-populaires et encore aimés par des « puristes »…
JF : Oui, c’est assez marrant, il y a plusieurs caps. Je sais que le blog Alainfinkelkrautrock nous adore, Discodeine nous remixe, des gens nous disent qu’ils aiment ce qu’on fait, notre popularité, justement parce que ça fait chier des ayatollahs… Certains nous comprennent ça, ils comprennent ce qu’on fait, ce qu’on est au plus profond : de la culture pop. Je me souviens aussi de Pedro Winter, qui m’avait dit qu’il adorait Parle à ma main quand c’était sorti. Pedro Winter, quoi ! Le patron du cool ! Tout le monde ne saisit pas cette dimension.
Et à l’étranger ?
JF : En France, tout le monde cherche à tout analyser, à prendre du recul, tout le monde se prend pour un journaliste. Il y a une spontanéité hyper saine, ailleurs. Quelque chose de plus primaire. Les gens se demandent s’ils aiment ou s’ils n’aiment pas, ils ne se demandent pas s’ils vont être cools s’ils aiment, ou s’il est encore temps d’aimer pour être cool. Les gens se posent tellement de questions pour savoir ce qui est cool que tu perds vraiment toute spontanéité…
Julie : Je me souviens d’avoir joué avec The Go! Team. Leur petite batteuse est super cool, super gentille, très fan de Yelle, on s’était super bien entendus. Et elle m’avait raconté avoir passé un peu de temps en France, elle était fan de MC Solaar et d’Ophélie Winter, elle me chantait des chansons d’elle, sans se poser de question. Tu dis ça en France, tu passes vraiment pour un con…
Mais une grande partie du caractère de Yelle vient des textes… Comment les gens peuvent-ils répondre à ça, en dehors des pays francophones ?
Julie : Ca passe beaucoup par la scène, par le jeu physique, le fait d’accompagner physiquement les textes, de les mimer, presque. Si les gens ne comprennent pas la langue, je pense qu’ils comprennent les émotions qui se dégagent des morceaux.
JF : Il y a un truc d’énergie. Exactement comme quand tu te retrouves à chanter du yaourt sur du Nirvana, qu’à 13 ans tu gueule « Viole moi ! » en Anglais, mais que tu ne comprends pas ce que tu dis. C’est aussi simple que ça : de l’énergie. Et il n’y a rien de plus spontané que l’énergie.
Safari Disco Club est aussi, tu le disais, beaucoup plus mélancolique que Pop Up…
JF : Oui, ça vient des harmonies, de passages de mineurs aux mineurs, des choses qu’on a cherché à faire notamment avec Siriusmo. Ca vient des mélodies, et du chant : Julie chante plus, elle scande moins les choses. C’est aussi parce qu’on apprend, au fur et à mesure.
Julie : Je me souviens que sur J’ai bu, Jean-François a rajouté un arpège, à la toute fin du processus, qui a totalement transformé la chanson. Et je me souviens en avoir pleuré… Je me demandais si j’étais normale…
JF : « Merde, je suis hyper cul-cul, en fait… »
Julie : Olivier, notre ingénieur du son, c’est un ours, il a une grosse culture rock, il écoute Shellac, il est tatoué de partout. Et il adore les morceaux, il était submergé ; on le voyait pendant l’enregistrement les écouter tout seul et tripper… C’est assez marrant, mais Yelle touche aussi des gens qu’on n’imaginerait pas touchés : on a rencontré des métalleux, par exemple, qui étaient super fans de Ce jeu. Pareil pour des rappeurs, Chiddy Bang en a d’ailleurs fait une version. Les gens se sont servis dans notre musique, nous aimaient pour plein de raisons très différentes. On a un public très varié…
JF : Mais bon, Nolwenn Leroy vend plus que ça en ne vendant qu’aux Bretons…
Vous avez expliqué vouloir « être des gens de votre temps ». Quelle est votre approche des textes, qu’est ce que vous cherchez à saisir ?
Julie : Ils sont liés à notre âge, à notre évolution dans nos vies, aux questionnements qu’on se pose à certains moments de notre parcours, mais pas à d’autres.
JF : Ce truc d’être « de notre temps » vient aussi peut-être du fait qu’on a toujours écouté plein de choses très différentes, du rock, du rap, de l’électro, depuis qu’on est jeunes. Le résultat est finalement assez simple : on aime la musique qui nous fait sentir quelque chose. C’est aussi peut-être la source d’une forme de modernité : ça fait qu’on est ouvert à la nouveauté, qu’on est jamais réfractaire a priori, qu’on essaie d’être curieux de tout ce qui se passe. De ne pas non plus être réfractaire aux mouvements qu’il y a autour de la musique, de ne pas être trop puriste. Je me souviens d’avoir eu une discussion avec un mec qui avait un groupe de rock un peu spé, et qui ne voulait absolument pas avoir de MySpace : pour lui, c’était déjà trop, c’était être un peu « vendu ». J’ai halluciné quand il m’a raconté ça. On est totalement à l’opposé de tout ça. On adore Richard Gotainer, qui a fait des tonnes de musiques de pubs, souvent excellentes d’ailleurs. On l’a vu sur scène il y a deux ans, c’est un putain de mec sur scène, en plus… C’était marrant, il y avait des familles, des gamins, et il y avait des punks, et tout le monde était à fond. L’ambiance était incroyable. Et c’est exactement ce genre de mec qui nous fascine : quelqu’un qui a joué avec tous les codes de son temps. J’entends des gens me dirent qu’ils veulent faire de la musique intemporelle : moi ça me fait chier, la musique intemporelle. On veut faire de la musique qui révèle une époque, qui soit liée à son sens.
Julie : Ca tient aussi à notre âge, à notre génération. On peut aujourd’hui mélanger plein de choses, et parler de beaucoup plus de choses que les chanteurs de variété des années 60. Tout était beaucoup plus catégorisé, limité.
JF : Un groupe comme les Black Keys, je trouve les morceaux géniaux mais j’ai quand même une petite voix, dans ma tête, qui me dit que ça fait chier, que ça pourrait être du son enregistré il y a 30 ans… Le discours d’Hocus Pocus, je déteste, c’est horriblement réactionnaire.
Il y a, consciemment ou inconsciemment, de la subversion dans Yelle, non ? Tu dis des choses profondes ou crues, avec un langage presque naïf, une poésie assez unique…
Julie : S’il y en a, c’est plutôt inconscient. C’est peut être une forme de cynisme léger, ou plutôt d’ironie. C’est aussi la manière dont on se parle au quotidien : les nanas parlent entre elles de manière très crue, les mecs se parlent entre eux de manière très crue, et tout le monde finit par se parler de manière très crue… On n’a pas envie de se mettre de barrière à ce niveau là. Si on a quelque chose à dire à un moment, on trouve les mots qu’on trouve les plus beaux pour le dire. Jean-François, qui écrit la majorité des textes, a ça en lui.
JF : Mais Julie est ma muse pour tout, on choisit plein de mots, on trouve des sonorités ensemble. Ce double-sens, je le trouve intéressant dans les paroles en général. Je ne me considère pas comme un auteur, je n’ai pas beaucoup de culture, je ne lis pas de livre, je suis quelqu’un de « pauvre » à ce niveau-là. Je suis souvent largué, dans les conversations, je me dis « Bon, c’est pas très grave, je vais manger une olive »… Mais j’aime, chez des gens comme Daho ou Gainsbourg, ceux qui ont des mots directs, et chez qui le sens vient derrière. C’est aussi vrai dans la musique, d’ailleurs. J’aime les choses bi-goûts. Tu prends la fantaisie ou la mélancolie. Le morceau le plus symbolique, sur Safari Disco Club, est Unillusion : tu peux le trouver super cool, mais derrière ça parle de l’illusion d’être uni, de quelque chose de terrible. Mais il y a des morceaux plus explicites, aussi, comme S’éteint le soleil, où les questions sont assez directement existentielles, ou Comme un enfant. Mais si tu les écoutes en musique de fond, c’est un truc cool qui te met de bonne humeur. Le fait d’écrire en Français vient plus d’un truc de facilité, chez moi ; je détestais la chanson française quand j’étais plus jeune. Dans l’expression, je suis plus rap. Une bonne punchline de Booba, même si je ne suis pas un fan hardcore de Booba, me parle plus qu’une chanson de Bénabar…
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