Doucement la basse. Le bassiste de Dinosaur Jr lâche son instrument et se révèle baryton de rêve et auteur de chansons fiévreuses. On n’a jamais trop su à quoi ça pense, un bassiste. Jamais tenté de percer la chape de frustrations et d’idées noires qui recouvrent ces hommes de trait, ces bagnards énigmatiques condamnés aux […]
Doucement la basse. Le bassiste de Dinosaur Jr lâche son instrument et se révèle baryton de rêve et auteur de chansons fiévreuses.
On n’a jamais trop su à quoi ça pense, un bassiste. Jamais tenté de percer la chape de frustrations et d’idées noires qui recouvrent ces hommes de trait, ces bagnards énigmatiques condamnés aux travaux forcés, ingrats et obscurs de la rythmique, et qu’on confine le plus souvent à l’arrière de la scène, à droite, enchaînés à la batterie. Au secret. A tant s’échiner dans la pénombre pour le compte de Dinosaur Jr, déboussolé de devoir ressasser, soir après soir, la même musique étriquée sans en tirer la moindre part de profit ou de lumière, Mike Johnson avait fini par s’ensabler dans le spleen du forçat. Où suis-je ?, implorait-il, nu comme un ver offert à la bise glaciale sur un premier album désolé solitaire où s’entrechoquaient une poignée de chansons gangrenées, une paire de reprises de Gene Clark et Townes Van Zandt lâchées dans une nature hostile et dans le plus absolu dénuement. Sans doute a-t-il déniché la réponse à l’écume des disques fourbus de Mark Lanegan, autre compagnon d’armes, lors de communes cavalcades engourdies dans le crépuscule des forêts de l’Oregon. Ou bien dans le roulement du fracas de batailles anciennes et perdues, quand le rock était encore affaire de grands seigneurs ténébreux et fortunés, lorsque Berlin défiait Everybody knows (this is nowhere) ou Five leaves left en joutes singulières. Longtemps avant la guérilla punk, qui précéda la capitulation sans condition et la levée de nouvelles ambitions. Mike Johnson, une vieille barbe en puissance, alors ? Oui, mais pour l’heure rasé de frais et gonflé d’un souffle insolent. Ainsi, ce Year of Mondays, épique, a tous les culots : il ose prendre le temps de titres au long cours Overdrive, Eclipse, immenses ! , s’aventurer dans des solos picaresques et sans limites, des breaks de batterie paillards, des nappes de cordes chagrines, sans jamais paraître daté. Accessoirement, Mike Johnson sait faire du beau neuf avec du vieux beau. C’est déjà bien plus qu’on ne pouvait en espérer du bassiste de Dinosaur Jr. Mais fondamentalement, Mike Johnson, c’est une voix de baryton brisée, une voix de fond de caverne, c’est un songwriting d’épopées fiévreuses, une écriture en Technicolor, à voir sur grand écran, mais en petite salle. C’est le retour du rock qui parle au cœur autant qu’à la tête, qui donne envie d’aller courir dans les prés en hurlant à tue-tête. Le rêve d’absolu d’un bassiste brimé.