Sobriété et mélancolie illuminent le nouvel album du Suédois Jay-Jay Johanson, dandy crooner trop longtemps perdu de vue. Critique et écoute.
Ça ne rajeunira personne : c’est il y a quinze ans que le Suédois Jay Jay Johanson payait sa première tournée de Whiskey. Nouant inspirations jazz, chant de charme et mélancolie apprise chez Chet Baker sur un premier album à la nudité désarmante, le musicien se faisait alors Scott Walker du grand Nord, crooner du froid. D’autres disques ont suivi, provoquant joies (Tattoo, Self Portrait) ou déceptions (Rush, Antenna).
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Sinon fanée, du moins un tantinet ternie, la passion portée au chanteur dans les années 90 demandait donc à être ravivée. Ce sera chose faite avec Spellbound, un huitième album au costume remarquable de sobriété. “Petit, j’ai développé mon amour pour la musique en affichant les posters de Kiss ou Roxy Music sur mon mur. Puis, en 1985, mon père m’a forcé à aller voir un concert de Chet Baker. J’avais 15 ans, je pensais que c’était de la musique ennuyeuse pour les vieux. Ça a été une révélation : il était assis dans l’ombre, timide. J’ai compris que je pouvais aussi monter sur scène, que je n’étais pas obligé de faire le show, qu’il suffisait d’être sensible.”
Cette sensibilité, c’est, depuis toujours, le moteur, la faiblesse et la force de Jay Jay Johanson : grande tige pâle et frêle de près de deux mètres, solitaire, fragile, le musicien est passé, en quinze ans de carrière, par toutes les altitudes et les sous-sols possibles. Chéri sur le sol français, il a longtemps souffert d’anonymat dans son pays. “J’ai pensé arrêter à plusieurs reprises, car ce travail était trop éprouvant. Après le dernier concert de la tournée de Poison, en 2000, j’étais au bout du rouleau. Je n’en pouvais plus de faire de la musique, d’être en tournée. Je ne supportais plus mes musiciens. Je me suis dit que j’allais devenir fou ou dépressif. Il a fallu du temps pour que l’envie et le plaisir reviennent. Surtout, il m’a fallu trouver de nouveaux angles, de nouvelles perspectives et façons d’envisager ma musique. »
Faire plus avec moins : telle semble aujourd’hui la direction choisie par Johanson pour entamer cette décennie. Sur Spellbound, le musicien abandonne les arrangements, ornements et parures d’antan pour leur préférer une nudité inédite. Si le fantôme de Chet Baker continue d’irradier l’ensemble (On The Other Side), celui de Nick Drake, porté par des guitares rares chez le Suédois, fait aussi son apparition (l’éblouissant Blind). Revisitant, après Lady & Bird, le fameux thème de M*A*S*H* de Robert Altman Suicide is Painless, Johanson privilégie les atmosphères langoureuses (An Eternity, Drift Wood), s’offre un petit tube potentiel (Dilemma), et se fait cousin spirituel, les paillettes et les plumes en moins, d’Antony Hegarty.
De l’ensemble de Spellbound, émane un spleen délicat, une élégance jadis noyée dans des rythmiques trip-hop.“Souvent, lorsqu’un artiste meurt, on retrouve des vieilles démos, des esquisses de morceaux bruts, qu’on réunit dans des compilations. J’ai eu envie de reproduire ce son-là sur mon album, ne pas chercher la perfection. Longtemps, j’ai dissimulé ma voix derrière des batteries lourdes, des arrangements, des samples. Cette fois, j’ai cherché et défendu le naturel, j’ai même interdit à mes musiciens de refaire des prises. » Du naturel chassé, on dit qu’il revient au galop : préservé, il donne ici lieu à une formidable chevauchée.
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