A l’occasion de la sortie de son CD / DVD live On Tour, Yann Tiersen s’est prêté au jeu des question-réponses. En prime, découvrez le clip inédit de La Rade et des extraits live en vidéo.
18 octobre 2006. Enchaînant clope sur clope et cafés serrés, Yann Tiersen, crispé par sa timidité apparente, se plie aussi bien qu’il peut à l’exercice de la journée promo. Le compositeur et multi-instrumentiste explique comment il s’est métamorphosé en leader de groupe de rock indompté, à l’occasion de la sortie prochaine et simultanée des CD et DVD live On Tour. Comme il le dit lui-même, il n’est plus temps de faire dans la dentelle.
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Découvrez également le clip inédit de La Rade et des extraits live en vidéo, réalisés par Aurélie Du Boys.
Depuis un an, tes concerts sont très rock, ce dont témoignent le DVD et le CD On Tour qui sortent le 13 novembre. Est-ce une nouvelle orientation artistique ?
Yann Tiersen : Je commençais sérieusement à m’ennuyer avec les instruments acoustiques. Quand j’ai commencé, j’étais tout seul. J’allais d’un instrument à l’autre (le piano, le violon) pour ne pas m’emmerder. Ça faisait longtemps que j’avais envie d’un groupe à guitares pour resserrer les morceaux. Les Retrouvailles (2005) et l’album que j’avais précédemment fait en collaboration avec Shannon Wright étaient déjà dans cet esprit là.
Retrouver l’électricité était donc une envie profonde.
Il faut remonter au début, avant mes albums, pour comprendre. J’ai commencé la musique dans les années 80, et à cette époque c’est limite s’il ne fallait pas me parler d’instruments acoustiques. On m avait mis au violon tout petit mais je n’avais pas de piano chez moi, juste une guitare électriques et quelques claviers. C’était ma culture. Dans les années 90, j’ai commencé à sampler des instruments acoustiques. Et puis je me suis dit : « tu n’es pas quelqu’un de laborieux, de cérébral, tu aimes le rapport direct alors puisque tu sais le faire, au lieu de séquencer dix mille disques, joue ». Le bidouillage électronique m a rendu curieux. Je me suis mis à l’accordéon alors que je n’en avais jamais écouté. Avec le temps, le processus s’est inversé. J’ai maintenant dix ans d’acoustique dans les pattes. La fraîcheur est finalement revenue avec la guitare. Sans ça, je n’avancerais plus.
Dans ton groupe, une place particulière est réservée à l’onde Martenot, un instrument très rare, typé musique contemporaine.
Il y en a dans mes disques depuis L’Absente (1999). C’est un instrument qui me fascine depuis l’enfance. J’en entendais dans les chansons de Brel, dans les uvres contemporaines d’Olivier Messiaen. Pour moi c’était un mystère et mon rêve était d’apprendre à en jouer. J’ai finalement rencontré Christine Ott qui était professeur de musique au conservatoire. Elle cherchait des partitions pour onde. J’ai tout de suite sauté sur l’occasion pour la rencontrer et l’intégrer à mon groupe. Elle joue de l’onde à l’occasion avec Radiohead. C’est une pointure. Cet instrument c’est la voix du groupe sur les instrumentaux. Au milieu des guitares saturées, c’est la mélodie, et non pas un équivalent du synthé qui occupe souvent la place du cinquième instrument dans un groupe, ajoutant de la masse au schéma deux guitares-basse-batterie.
Comment le DVD de la tournée a-t-il été conçu ?
C’est ma compagne Aurélie du Boys qui l’a réalisé. Le disque live c’est pour moi un nouvel album. Je voulais donc qu’il soit court. Il y a pas mal d’inédits que j’ai écrites en tournée super vite, alors qu’avant il fallait que je m isole pour y parvenir. Il y a aussi des relectures d’anciens morceaux. Le DVD c’est l’inverse. Il dure une heure et demie, c’est un film de la tournée avec de la musique partout. Une trentaine de dates retraçant six mois de tournée ont été enregistrées.
Sur un morceau, on entend une source sonore provenant du festival Beniccasim en Espagne, mais on nous voit perdus dans la nature dans un moment d’épuisement, après une panne, alors qu’on était à dix bornes à peine du site du festival. Souvent, les images sont mélangées pour coller à l’intensité de la chanson. Ce côté kaléidoscopique est plus réaliste que la captation d’un concert unique. Ça en dit plus long sur ce qu’est une tournée : les moments d’attente, les distances énormes parcourues en bus, la variété des scènes, les rencontres’ Quand je regarde le DVD d’un concert d’une traite, je m’emmerde sec, aussi bon soit-il. Récemment, j’ai vu le DVD Please Leave Quietly de PJ Harvey, dans le même esprit que le mien, très éclaté. Je ne me suis pas ennuyé une minute.
Rétrospectivement, comment vois-tu le succès du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain ?
J’enregistrais L’Absente. Jean Pierre Jeunet est venu me voir en studio. Les gens du cinéma s’attendent toujours à ce qu’on leur déroule tapis rouge, mais là on l’a très mal accueilli. Il est vraiment tombé comme un cheveux sur la soupe. J’ai vociféré dans le studio parce qu’on finissait une prise. Un peu comme quand un metteur en scène crie : « silence on tourne ! » sur un plateau. Je ne savais pas que son film marcherait à ce point. Il voulait que j’écrive quelques morceaux pour la bande son et je lui ai répondu que je n’avais pas le temps. Dans les premiers temps, je l’ai laissé piocher dans mes anciens morceaux qui n’avaient rien à voir avec le film. Il voulait changer les titres, j’ai refusé. Je n’en avais rien à foutre. S’il les modifiait, je les retirais.
Finalement j’ai écrit quelques morceaux. Et la musique a vraiment sa place dans le film. Après, ce film a un côté « angélisme » qui peut agacer, mais c’est surtout lié à son succès dément. La cristallisation extrême d’une musique à succès mise au service d’une esthétique peut transformer un beau morceau en ritournelle, en rengaine. Maintenant, quand quelqu’un me dit qu’il apprend le piano en jouant mes morceaux, je m éloigne, et c’est sûrement lié au film. Cependant, je ne regrette pas d’avoir participé à Amélie Poulain, parce que c’est plus qu’un simple divertissement. C’est un bon film qui a fait du bien et qui, à sa sortie, a eu beaucoup de bonnes critiques. C’est seulement après, quand on en a trop entendu parler, qu’est venu le déchaînement.
Sur On Tour, il y a une jeune chanteuse, Katel, qui chante La Rade, un inédit, en duo avec toi. Qui est Katel ?
On s’est rencontré dans un festival. J’ai pris une grosse claque en l’entendant. Elle m a donné une démo. J’ai voulu qu’elle vienne en première partie. On a tourné en Espagne ensemble. Sur scène, elle a une force énorme. Je suis content que son disque, Raides à la Ville, lui ressemble et capte toute son énergie ? ce que ses premiers enregistrements n’arrivaient pas toujours à faire. C’est vraiment quelqu’un de rare humainement et de vrai dans ce qu’elle fait, avec qui je m’entends très bien. Elle est sûre d’elle artistiquement, elle a une ligne et elle n’en démord pas. J’adore les gens comme ça. Ça fait vraiment longtemps qu’on n’avait pas eu ça en France. Ça ne veut pas dire qu’elle n’a pas de doute. C’est plutôt qu’elle ne se laisse pas manipuler et qu’elle a un univers bien à elle.
Le texte de Ma France à Moi de Diam s pourrait être pris pour quelque chose d’assez tendancieux. Qu’est-ce qui te fait adhérer à un texte qui dit : « ma France à moi c’est pas la leur qui fête le Beaujolais » tout en assimilant explicitement quelques lignes plus haut le monde paysan au vote FN ?
Pour moi, la situation politique française impose qu’on ne fasse plus dans la dentelle. Il y a des raccourcis faciles dans nombre de chansons. Même dans celles de Katel, il y a des images parfois faciles. Pour moi, ce morceau a une place cruciale dans l’album parce qu’il se fout du snobisme à deux balles et qu’il va jusqu’au bout de son propos. C’était important d’inviter Diam s à Bourges. Après, le concert, on a discuté pendant des heures, à trois, avec Dominique A, de politique. Nos avis allaient tous dans le même sens. Je pense que peu importe le bon goût, les apparences, il y a des gens honnêtes qui sont rock n’ roll et vraiment droits. Il y a peu de gens comme ça : il y avait Noir Désir, il y a Les Têtes Raides, Katel, Dominique A, Miossec aussi dans son écriture. Il y a enfin Bright Eyes. Pour moi, les gens droits sont très rares.
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