La condescendance était de mise sur le plateau d’ « On n’est pas couché » samedi soir.
Yann Moix a croisé le fer et le feu samedi soir dans On n’est pas couché. Après s’être vivement accroché avec Michel Onfray, le nouveau chroniqueur de l’émission de Laurent Ruquier a donné son sentiment sur le premier album de Nekfeu.
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Malaise et condescendance
Selon l’écrivain et réalisateur français, la violence est « déguisée en douceur » chez Nekfeu, et l’artiste parisien propose un rap qui « triche » et « tombe à plat ». Le fond du reproche n’a rien de nouveau. Il est même largement diffusé au sein même d’une partie de la culture rap française : celle qui voit en Nekfeu l’incarnation forcément problématique du gendre idéal, trop technique et chevelu pour être honnête. Mais si la critique a le mérite de tenir la route sur le plan de la street cred, le pénible déluge de punchlines et d’oxymores qui l’enveloppe valide l’impression de malaise qui s’instillait depuis le début de l’émission.
Après la lourdeur de la comparaison hallucinée par Ruquier entre Nekfeu et Kev Adams, les clichés nostalgiques sur le rap contestataire déterrés par Léa Salamé, le ton professoral et étonné de certaines questions (« C’est vrai ça, vous avez lu Céline ? »), la condescendance atteint finalement son paroxysme lorsque Moix excite sa réflexion et son sens de l’image dans une anaphore aussi gênante qu’ostentatoire. Toujours se méfier d’un monologue qui débute par « J’avais été grave cool avec Emmanuel Moire ».
« On a l’impression que c’est Orange Mécanique dans une pouponnière. On a l’impression que c’est des mecs qui prennent du crack mais dans la cour de récréation du Petit Nicolas. C’est de l’ultra-violence sur de la gentillesse de Bisounours. Les coups que vous donnez, c’est à coups de hochet que vous les donnez. Ca ne prend pas, ça ne marche pas, parce que c’est de la douceur déguisée en violence. Ou de la violence déguisée en douceur. […] J’adore le rap mais le vôtre triche, j’ai l’impression qu’il tombe à plat. Il n’écorche pas vraiment les oreilles, c’est de la violence qui se retient d’en être. C’est de la violence qui s’excuserait de faire mal. C’est de la pyromanie sans pompier. C’est de l’hématome sans le coup. C’est une maladie sans cancer »
>> Vidéo : De 1995 à 2015, Nekfeu héros de l’année rap
Dans la plus pure et enfantine tradition des préaux et autres cours de récréation dans lesquels Yann Moix semble vouloir circonscrire la virulence de Nekfeu, l’écrivain ressort la bonne vieille technique du « miroir magique ». Quoi de plus inventif que de retourner le verbe et les mots face à un rappeur habitué des battles et des open-mics. La facilité de la posture, et le long concours de débit auto-satisfait qui l’incarne, fait ressurgir l’éternel problème de l’accueil réservé au rap à télévision française.
Vingt ans de distance
Plus de vingt ans après l’éclosion de la culture rap en France, recevoir un rappeur à la télévision reste encore une inextinguible source de crispations et d’incompréhensions pour les programmateurs et les animateurs. Et la condescendance qui accompagne les rares occurrences sonne comme l’avertisseur toujours plus dangereux d’un service qui peine à renouveler son offre en même temps que ses connaissances.
En 1995, dans épisode de Taratata hallucinant de morgue et de dédain, le service public apparaissait déjà dépassé par les événements quand il s’agissait de parler de rap. Ce jour-là, c’est Fabe, l’une des principales références de Nekfeu, qui en avait fait les frais en perdant son sang froid face aux singeries décomplexées d’une improbable équipe de champions : Charlebois, Nagui, Souchon et Voulzy. Vous pouvez d’ailleurs (re)voir les 4 fantastiques à l’œuvre dans la vidéo qui suit.
Si la moquerie subliminale de Yann Moix est bien évidemment autrement plus subtile que les éructations d’un autre âge de Charlebois et consorts, le fond du problème reste le même. Le rap est toujours présenté comme une nouveauté, un phénomène distant dont il est finalement assez normal de ne pas réussir à capter la moindre variété de ton ou d’intention. Vingt ans ont passé et la télévision peine toujours à comprendre les différentes incarnations, les visions plurielles et la multitude de raisons d’être d’une culture qui ne se pose même plus la question de sa représentation. A la fin de sa chronique, Moix avouera même qu’il n’est « pas dans la cible » lui qui aime « le rap qui râpe », laissant entendre que cette musique ne peut s’incarner que d’une seule et unique manière. Et réfutant une dernière fois l’irrévérence des textes de Nekfeu.
Contrairement à Fabe qui avait perdu la bataille des préjugés en quittant le plateau d’un Nagui insupportable en 1995, Nekfeu s’effacera dans la discrétion d’une ultime politesse : « Je suis vraiment content d’avoir rendu ma violence douce à vos oreilles ». Avant de rejoindre son chroniqueur d’un soir pour une accolade de circonstances à laquelle Moix répondra par un dernier cliché en singeant un finger-trick. Hip-hop.
Azzedine Fall
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