Jusqu’au 14 février, PJ Harvey est à Londres pour Recording in Progress, une installation artistique où elle enregistre son nouvel album en public dans un studio aux vitres sans tain. Récit de la session du 29 janvier matin.
L’enregistrement d’un album en studio peut avoir un côté abstrait, nimbé de mystère. Grâce à un dispositif sans précédent qu’elle a conçu elle-même, PJ Harvey rend cette étape plus concrète. Depuis le 16 janvier et pendant près d’un mois, elle a choisi d’installer un studio éphémère dans une aile de Somerset House, vénérable édifice néoclassique de Londres. Sur papier, le projet a de quoi intriguer : séparés du studio par des vitres sans tain, les spectateurs peuvent voir et entendre ce qui s’y déroule sans que les musiciens remarquent leur présence, en choisissant parmi plusieurs créneaux horaires par jour, cinq jours sur sept. Mises en vente début janvier, les places se sont arrachées en un clin d’œil pour ces sessions de 45 minutes à prix modique (£ 15).
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Les premiers comptes-rendus font état de chansons dans la lignée de Let England Shake. On croise les doigts pour ne pas assister, comme certains, aux prises de saxo, ou pire, de tomber sur 45 minutes de batterie.
En arrivant en fin de matinée, on croise les fidèles John Parish et Jean-Marc Butty, ici respectivement co-producteur et batteur, qui prennent un café à emporter et s’éclipsent. On s’apprête à assister au tout début d’une journée de travail. On pénètre avec une trentaine de spectateurs dans une pièce spécialement dédiée à accueillir le public. Vestiaire obligatoire pour les téléphones portables et court briefing de notre guide qui nous munit de bracelets blancs. Elle nous conduit dans les entrailles du bâtiment jusqu’à un endroit qui abrita par le passé l’ancien gymnase et le stand de tir pour le personnel du fisc britannique – Somerset House a hébergé de nombreuses administrations.
Une nouvelle porte s’ouvre et on entend résonner, de loin, des accords lancinants de guitare électrique. On pénètre alors dans une grande pièce sombre en forme de L dont deux parois sont percées de vitres avec vue (non réciproque, donc) sur la pièce d’à côté : un studio lumineux, d’une blancheur aveuglante. Et au milieu, en noir de la tête au pieds, Polly Jean et sa guitare blanche, qui répète inlassablement ces mêmes accords hypnotiques. D’une beauté à couper le souffle.
Le mythique producteur Flood est, littéralement, agenouillé à ses pieds. Elle s’arrête, sourie. Flood lui conseille de mettre plus de réverb et part s’asseoir sur l’un des deux canapés blancs : « Qui sait où cela pourrait nous mener ? » Une montagne d’instruments les entourent : un étui à violon posé sur un piano, un trombone, une flûte traversière, d’innombrables percussions et cuivres. Flood lance : « Est-ce que le tempo est bon ? » PJ répond qu’elle ne sait pas. John Parish propose de comparer avec la démo initiale. Loin d’être figées, les idées rebondissent d’un esprit à l’autre dans une confiance mutuelle créée par des années de travail commun.
Tracé en noir, le dessin d’un grand blason, probablement inventé par PJ, veille sur eux du haut d’un mur. Il comporte notamment trois étoiles, trois clés, une chèvre, un chien à deux têtes et l’inscription PJ Harvey sur le dessous, comme un clan ancestral. La guitare reprend, embellie par un petit clavier réglé comme un orgue spectral dont joue John Parish. Jean-Marc Butty, dans un coin de la pièce, ferme les yeux et hoche la tête en rythme.
A la fois jovial et précis, Flood suggère de s’attaquer à la voix, puis à l’autoharp pour obtenir le squelette solide de cette chanson, à laquelle ils pourront ajouter plus tard la partie rythmique. En plus de la voir jouer de la guitare, on a la chance de voir PJ Harvey chanter intégralement ce morceau sur la musique qui vient d’être enregistrée – d’après les paroles et la liste des chansons dévoilée, on devine qu’il s’agit de Dollar, Dollar. On remercie intérieurement John Parish qui suggère de faire une deuxième prise, « juste pour être sûr ». A un moment, PJ trébuche sur un mot, croise le regard surpris de Mick Harvey (assis devant un clavier) et tous les deux explosent de rire. A la fin de la prise, Flood dit qu’il a un petit faible pour la première car il trouve la deuxième « plus dans l’observation ». On n’avait pas trop senti la différence subtile mais on lui fait confiance.
PJ s’apprête à jouer de l’autoharp, l’un de ses instruments de prédilection depuis White Chalk. C’est là que se terminent nos 45 minutes mémorables, de l’autre côté du miroir.
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