Pendant trois jours, nous étions à Groningen, au festival Eurosonic, rendez-vous des jeunes artistes européens à suivre. On vous raconte.
JOUR 1
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cousin européen du fameux South By Southwest américain, le festival Eurosonic Noorderslag propose chaque hiver le premier rendez-vous musical de l’année. L’Austin européen se nomme Groningen, petite ville étudiante située au nord de la Hollande, où le nombre de clubs n’a d’égal que celui de bicyclettes. Même principe que l’événement texan : pendant trois jours, partout dans la ville, les artistes et groupes investissent les salles, clubs, salles de musée, bars, églises… La musique est partout, mais elle est, surtout, conjuguée au futur : pas, ou très peu, d’artistes confirmés ne sont programmés.
L’idée, au contraire, est de présenter et promouvoir les artistes européens qui feront l’actualité musicale dans les prochains mois, d’où un nombre impressionnant de professionnels venus des quatre coins du continent repérer leurs futurs héros – ils sont plus de trois mille à se balader dans la ville, baskets aux pieds et sac estampillé Eurosonic sur le dos.
Des registres variés
Chaque année, le festival s’ouvre sur la soirée des EBBA (European Boarder Breakers Awards) : on y récompense les artistes européens dont le premier album a rencontré le succès aussi hors de ses frontières. Présentée par l’excellent Jools Holland, la cérémonie fut hier l’occasion de retrouver quelques artistes bien appréciés chez nous, et d’autres moins fréquentables (la France fut par exemple représentée par Indila, dont les chansons percent nos coeurs autant que celles de Zaz ou Hélène Ségara). Parmi les réjouissances, on entendit hier la Danoise Mø, en forme olympique dans une tenue trash comme piquée à Catherine Ringer. Fougueuses, bagarreuses même, ses diatribes electro sont portées par une énergie impressionnante sur scène: montée sur ressorts, la demoiselle y flirte avec les genres – electro, mais aussi rap et rock -, offrant un spectacle physique et théâtral.
Dans un tout autre registre, la Belge Mélanie De Biasio, dont on recommande à nouveau l’album No Deal, interpréta deux morceaux de blues crépusculaire, portés par un chant hypnotique et un art de bouder les formats. Anciens lauréats du concours, les Ting Tings vinrent interpréter deux titres, confirmant notre éloignement des dernières années : le classique et efficace Shut Up and Let Me Go fut précédé d’un morceau récent assez vilain. Le prix de l’artiste de l’année, enfin, fut décerné à The Common Linnets, un groupe hollandais dont on ne connaissait rien jusque-là et qui officie dans un registre folk-rock à l’américaine, aimant beaucoup, mais vraiment beaucoup, les guitares – sur l’un des titres, il y en avait cinq sur scène.
Aux quatre coins de la ville
La cérémonie des EBBA achevée, la première soirée du festival fut l’occasion de découvrir une demi-dizaine d’artistes jouant aux quatre coins de la ville. Parmi eux, on saluera les déflagrations de Warm Graves, trio venu de Leipzig dont le nom (« Tombes chaudes ») annonce la couleur – noire. Rythmiques empruntées au krautrock, boucles planantes, chant sombre : le groupe joue fort, très fort, les hymnes de son premier album Ships Will Come. A quelques encablures, on part ensuite réconforter nos oreilles dans la salle de Huize Maas. La jeune Espagnole Joana Serrat y présente ses ballades folk. Elle a beau avoir travaillé avec le producteur d’Arcade Fire et Godspeed You ! Black Emperor, elle a beau, aussi, porter un super prénom, la jeune musicienne déçoit avec des chansons un peu molles.
Quelques minutes plus tard, Jacco Gardner, habitué du festival et venu en voisin d’Amsterdam, dévoile, accompagné d’un nouveau groupe sur scène, quelques morceaux de son deuxième album à venir en mai. Désormais sans chapeau, le toujours jeune garçon continue d’officier dans une veine pop psychédélique, alignant des chapitres à l’ancienne sans fausse note, qu’il accompagne de nouveaux titres plus dynamiques, proches en un sens des premiers morceaux de MGMT.
L’Islande invitée d’honneur
Parce que l’Islande est invitée d’honneur du festival, on croisera cette année de nombreux représentants de sa riche scène musicale. Dans l’enceinte du Grand Théâtre de Groningen, on découvre ainsi Júníus Meyvant, un grand moustachu vêtu d’un gilet de papi. Passionné de peinture et de skateboard, le grand gaillard a finalement choisi l’option musique et irrigue désormais, de son timbre de soulman écorché, de bien jolies folksongs de berger. A suivre.
Toujours au Nord, on termine la soirée avec My Bubba, un duo islando-suédois, basé au Danemark (il faut suivre). Ces Bubba-là ont plus à voir avec le petit ourson qu’avec le rappeur : les deux chanteuses, cousines éloignées de Kings of Convenience ou She&Him, agencent de délicates chansons folk, aux harmonies vocales impeccables et aux mélodies gracieuses. De quoi finir dans la douceur une première soirée déjà copieuse.
JOUR 2
Deuxième journée du festival Eurosonic à Groningen. Sous une pluie battante, la cité étudiante hollandaise continue de programmer, partout dans ses salles, les espoirs musicaux de l’Europe – le festival Eurosonic, en fait, devrait se nommer le festival Eurovision.
Encore des découvertes
On commence les festivités avec le concert de Robbing Millions, jeune formation belge dont il est difficile de prononcer le nom sans qu’un collègue s’étonne de notre envie d’aller voir Robbie Williams. Donc non, pas Robbie Williams, mais Robbing Millions, déjà aperçus il y a peu aux Bars en Trans. Soit la réunion de cinq garçons de Bruxelles, vêtus de pull-overs assez moches et de t-shirts Vache qui Rit, jouant une pop arty qui emprunte autant aux harmonies vocales de Local Natives qu’aux morceaux à tiroirs du prog-rock. Technique, carré, leur set est maitrisé et convaincant et l’on pense parfois à des Django Django belges.
Quelques minutes et un kilomètre plus loin, l’un des groupes les plus attendus du premier trimestre joue dans l’enceinte de l’Academie Minerva, l’école de beaux-arts et d’arts appliqués de Groningen. Quatre musiciens sur scène, dont la moitié sans chaussures : Cristobal And The Sea, collectif londonien à l’identité multiple (ses membres viennent d’Angleterre, d’Espagne, du Portugal et de Corse) présente son premier album à venir en 2015, après le très remarqué EP Peach Bells paru en décembre. Signature du label City Slang, maison de Caribou et The Notwist, le groupe déroule sa pop psyché tropicale, faite de boucles grisantes et de chants hypnotiques, comme chipés au Beta Band et à Animal Collective. Flûte traversière, guitare, basse et percussions : Cristobal and the Sea joue clairement une musique de transe, parfois encore un tantinet fouillis, mais qui promet un disque ambitieux (produit d’ailleurs par le copain d’Animal Collective et Born Ruffians, Rusty Santos).
Nouvelle salle, nouvelle ambiance : dans la majestueuse église AA Kerk, l’Islandaise Sóley, déjà repérée chez les formations Seabear et Sin Fang, interprète les chansons pop électroniques de son premier album We Sink, des comptines qui rappellent les premiers travaux de sa voisine Emiliana Torrini. Place ensuite aux Italiens de Boxerin Club sur la petite scène du Huize Maas : les jeunes Romains, très probablement biberonnés aux disques de Vampire Weekend, font la pop dans la joie : cuivres, chœurs faciles et mélodies radieuses. Sympathique.
Les coups de coeur
Les deux coups de coeur de cette deuxième soirée, enfin, sont à aller chercher du côté de la Belgique (dont la scène musicale est décidément recommandable cette année) et de la Grèce. Côté hellénique d’abord, on applaudit le rock fascinant d’Acid Baby Jesus, une formation grecque qui marie rock and roll psyché et musique traditionnelle. Il y a deux ans, sur la même scène, on découvrait les hymnes enivrants d’autres bienfaiteurs psychédéliques grecs, Baby Guru. Capables d’ensorceler comme leurs voisins, Ces Acid Baby Jesus forment à leur tour une secte recommandable.
De Bruxelles enfin, les jeunes gouapes de Mountain Bike, parfaitement à l’aise dans leurs tenues de basketteurs, distillent une garage-pop slacker jubilatoire, de celle qui fait perdre dix ans à tout le monde. La nonchalance de Parquet Courts, la fougue des Barracudas, la classe mélodique de Grandaddy, la jeunesse des Arctic Monkeys : leur musique est un condensé de tout ça, à la fois déjà entendue cent fois et pourtant, notamment grâce au charisme impressionnant de leur chanteur, diablement efficace.
JOUR 3
Les jambes sont un peu fatiguées, mais l’enthousiasme est intact. De la troisième et dernière soirée du festival Eurosonic, événement hollandais dont on rappelle qu’il programme des centaines de jeunes artistes européens dans une trentaine de salles de la ville de Groningen, on retiendra une petite dizaine d’artistes. Impossible de voir tout le monde, puisque près de trente concerts ont lieu simultanément toutes les heures…
On commence avec Jonas Alaska, un jeune garçon norvégien dont on suit le travail depuis quelques années bien que ses (deux) disques ne soient jamais parus en France. Héritier direct de Bob Dylan, le blondinet entame son set avec une poignée de chansons folk dénudées, aux mélodies aussi charmantes que ses textes sont terribles. Il y est question de la noyade de deux de ses amis (October), de la mort de son père…C’est d’ailleurs une histoire de famille puisque le chanteur joue sur scène accompagné de son frère (Jonas Brother ?) et de sa petite amie. Après les ballades, le Norvégien opte pour une déclinaison plus électrique de ses chansons, et dévoile son troisième disque, Younger, à venir ce printemps. On pense un peu à Elliott Smith, sans les fulgurances néanmoins.
Le succès de Fufanu, la grâce de Flo Morrissey
Beaucoup moins doux, le garage-rock psyché de Santa Fé, des musiciens qui n’ont rien à voir avec le Nouveau-Mexique puisqu’ils viennent des Pays-Bas, enflamme quelques instants plus tard la scène du Walrus. Orgue exalté, guitares vaillantes et cheveux longs : ces garçons-là, auteurs l’automne dernier d’un EP réjouissant, font la bande-son de la drogue à l’ancienne. Ceux qui aiment Ty Segall devraient leur prêter une oreille.
Plus électrique encore, voire survolté, on découvre ensuite Fufanu, groupe islandais fondé sur les cendres d’un ancien duo techno et dont le chanteur est le fils de Einar Örn de Sugarcube. Influences cold wave et post punk s’entrelacent dans un set sombre, fort et hanté, via le jeu de scène du rejeton, par le spectre de Joy Division. Le tout, devant un parterre de tourneurs impressionnant- tous les professionnels du festival semblent s’être donné rendez-vous pour entendre un premier album promis pour 2015.
Quelques minutes plus tard, retour à l’acoustique et la douceur. D’abord avec les comptines trip-hop de Little Dots, formation belge dont la chanteuse, frange et jupe à paillettes, illumine d’une voix aérienne des ballades au fender rhodes. Touchant.
Cap ensuite sur le Forum où l’on retrouve la Londonienne Flo Morrissey, aperçue cet automne devant le rideau du Casino de Paris lors du festival des Inrocks. A moins de vingt ans, la frêle demoiselle, avec son physique de mini Pocahontas, déroule, seule sur scène, des ballades folk à la grâce remarquable, dont le formidable single Pages of Gold comme chipé à Lana del Rey et qui ferait, vraiment, un excellent générique de James Bond. Séduits par sa voix d’acrobate et la filiation évidente avec Joni Mitchell, on attend impatiemment le premier disque de la chanteuse, un recueil qu’elle a enregistré dans le Laurel Caynon de Los Angeles sous la houlette du producteur de Vetiver.
A l’étage d’un pub local, on est ensuite plutôt charmés par la jeune chanteuse locale Joelle Smidt. Visiblement repérée lors d’un concours équivalent de notre Nouvelle Star dans son pays (soit De Beste Singer-Songwriter), la timide demoiselle enchaîne des folksongs assez communes mais portées par une vraie jolie voix, qui rappelle celle d’une Laura Marling ou d’une Alela Diane. La soirée s’achève avec les refrains pop des Anglais turbulents de Gengahr, frères spirituels d’Alt-J habiles dans l’art de manier les guitares électriques pour mieux casser les formats et mettre le boxon dans le songwriting pop traditionnel. On aime déjà beaucoup le single Powder, on attend le premier album, lui aussi, décidément, prévu pour le printemps.
{"type":"Banniere-Basse"}