Des mobylettes et des hommes-grenouilles, des gardes républicains et des prototypes automobiles : Xavier Veilhan, 35 ans, interroge la modernité, ses croyances et ses technologies. Il expose à Paris le fruit de ses recherches visuelles et numériques.
Au début, la visite d’un atelier, ça se passe un peu toujours comme ça : un temps pourri, jour de pluie sur la Bastille, une petite rue boueuse, un manque total de luminosité. Autrement dit, c’est jamais le bon jour pour bien voir. Mais bon, avec Xavier Veilhan, ce n’est pas très grave : hormis deux oeuvres accrochées au mur, on consultera le reste de ses derniers travaux sur CD-Rom. Ici ou ailleurs, au final peu importe. L’artiste Pierre Huyghe est là aussi, ils partagent le local depuis plusieurs années : « On peut difficilement en parler comme d’un atelier. Pour Xavier, c’est un lieu de stockage informatique, et moi je n’ai rien ici, même pas d’ordinateur, rien ; en fin de compte, c’est juste un standard téléphonique. » Pour preuve, ça n’arrête pas de sonner. Entre deux appels, on se prend à penser que cette cabine téléphonique de vingt mètres carrés contient deux des artistes contemporains les plus prometteurs de la nouvelle génération.
D’un côté, Pierre Huyghe qui a récemment monté une télé locale à Dijon, qui réalise en vidéo des remakes de Fenêtre sur cour ou Uccelacci e uccelini, qui confronte ainsi le modèle et sa copie, enregistre et invente un art du décalage. De l’autre Xavier Veilhan, né en 1963, artiste pluri-multimédia tant son oeuvre paraît variée et même éclatée, depuis les répliques grandeur nature de gardes républicains ou de policiers français (dans un mélange savant de souci esthétique et d’ambiance sécuritaire) jusqu’à la préparation actuelle d’une réplique moderne de la Ford T de 1923. « Avec Pierre, on se connaît depuis dix ans au moins, on avait un atelier ensemble, parfois on montrait nos oeuvres pour des gens qu’on invitait et qui ne venaient pas les voir. Mais en même temps, on avait déjà conscience que ce n’était pas la peine de faire du porte-à-porte dans les galeries, ou de créer des journées portes ouvertes dans nos propres ateliers. C’est fini tout ça. On envoyait des cartons à un nombre très limité de personnes, à des professionnels du milieu ; mais comme ce sont des gens très occupés qui en plus ne nous connaissaient pas, personne ne venait nous voir. C’était absolument absurde, mais aussi très drôle. On se faisait plaisir. » Et Pierre Huyghe de rectifier le tir : « En fait, on a fait ça deux fois, pas plus. On savait que c’était complètement idiot. Mais la deuxième fois, une critique italienne est venue et s’est intéressée à nos travaux. Le lendemain, on était invités par Horatio Goni à exposer à la galerie Fac-simile de Milan, une galerie qui a découvert bon nombre d’artistes contemporains. Alors voilà, ça s’est arrêté là, on n’avait plus besoin d’ouvrir notre atelier. »
Dans un mélange déconcertant de naïveté et de cynisme, en voilà deux qui refusent à tout prix les faux-semblants, qui ont abandonné depuis longtemps la panoplie de l’artiste marginal, opposé à la société moderne, s’amusent de leur condition actuelle d’artistes reconnus, conscients d’appartenir au système : « Il y a un mot de l’architecte François Roche que j’aime bien, c’est « Faire avec pour en faire moins. » Faire avec la crise, faire avec un système économique, faire avec les autres, ne pas faire contre. Moi, c’est ça, j’essaie de faire avec ce qu’on me donne tout en essayant de le détourner, de le modifier. Car il n’est pas non plus question de faire dedans, d’aller absolument dans le sens des choses. » Avec ses prototypes semi-futuristes ou avec sa série de « portraits photographiques » de véhicules automobiles, Xavier Veilhan interroge la société de consommation et le concept de modernité, propose des oeuvres et objets qui nous sont presque familiers, que l’on est habitués à voir et à consommer, mais qui n’en finissent pas pour autant de paraître énigmatiques. « C’est dans cet esprit qu’après le baccalauréat j’ai fait les Arts-Déco, parce que c’est une école ouverte aux questions de communication, plus en rapport avec la société moderne, parce qu’on n’y passe pas des journées à faire des dessins de nus à la craie. »
Cette situation nouvelle de l’artiste se retrouve merveilleusement dans l’une des dernières images composées à l’ordinateur par Xavier Veilhan : on y voit des hommes qui manifestent mais dont les banderoles et les tracts sont absolument vierges de tout contenu. Le geste seul de la protestation suffit, et l’effacement du message n’est pas son impossibilité : au contraire, l’image devient porteuse de toutes les luttes possibles. « Ce blanc, pour moi, est un lieu de recharge, chacun peut venir y mettre ce qu’il veut. C’est ce que j’appelle faire avec les autres. Je compose une image peut-être politique, peut-être ironique aussi, mais c’est aux autres d’en décider, de la charger. Je compose ainsi des images à la fois fortes et vides. » On vient devant les oeuvres de Xavier Veilhan pour en partager le sens : l’interactivité fonctionne ici dans ce qu’elle a de plus intelligent et de moins gadget. Il en est de même pour l’utilisation sensée et non simplement amusante de l’ordinateur. La machine permet de superposer des photos de paysage et des portraits dépersonnalisés ; si la surimpression est visible, reconnaissable, en même temps rien n’est décidé : impossible de savoir quand et où se déroule cette scène. Sur une autre image, la forme floue d’un homme en armure apparaît en gris sur fond noir : « C’est ce tremblement qui m’intéresse, le fait qu’on est ici entre l’armure et le robot, entre la peinture historique et l’image numérique, entre le passé et le futur. » L’homme en armure est en quelque sorte un portrait de l’artiste contemporain : plongé dans le flou du temps présent, partagé entre un héritage culturel et des formes nouvelles à inventer. La modernité se situe, tremblotante, entre ces deux pôles.
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