Avec Wu Lyf, collectif de Manchester à l’imagerie opaque et aux chansons aveuglantes, une révolution économique autant qu’artistique est en marche. Ces adolescents souvent masqués, amoureux du risque, ont décidé que le vieux monde était derrière eux.
Cette musique venue de loin, des entrailles, toute en convulsions, en transe, tribale et très belle, n’est pas raisonnable, pas filtrée, ce qui explique qu’elle bouleverse et remue autant. Elle ne peut pas juste passer entre les deux oreilles : elle arrache tout. On imagine mal, à presque 20 ans, le groupe capable de gérer longtemps son chaos, ses tensions, la pression qui va maintenant arriver. Et ça ne serait même pas grave si ce premier album était aussi le dernier. Go Tell Fire to the Mountain a été enregistré avec cette flamboyance désespérée de ceux qui ne comptent pas, n’économisent pas. Il a été enregistré comme le cri primal, comme le chant du cygne, avec une intensité unique. Il restera.
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Parlons donc de cette musique grise comme les eaux d’un étang mort, qui connaît souvent le typhon, en vagues de mercure, scintillantes et toxiques. Elle est à la fois pleine d’espoir et peinte aux couleurs du malheur. Cette musique est une brisure, le grondement inquiétant et sauvage, irrationnel, d’une terre qui s’invente. Le bruit du rock qui se réveille, en se débarrassant de toutes les frusques, de tous les gadgets et toutes les références qui l’alourdissent, le condamnent à ramper. Le son électrique de quatre garçons qui fascinent et domptent la tempête, qui jouent avec le feu, isolés et autarciques, même dans une fourmilière comme Manchester.
Dans le corps de pantin de la pop anglaise de 2011, dans cette multitude de boys-bands qui posent comme des cadors et des rebelles, Wu Lyf est un cancer. Comme le premier album des Stone Roses, lui aussi tourbillon de sons, de sève et d’insolence qui avait éliminé nombre de ses contemporains, Go Tell Fire to the Mountain est un immense début. Les deux albums ont en commun leur psychédélisme délabré, leur chant douloureux mais sacrément persuasif, une rythmique féline, une guitare en porcelaine, en tessons, en braises…
Quatre garçons dans une tempête d’hormones, poings serrés contre le monde mou… Wy Lyf joue plus dense, plus uni, plus tassé que beaucoup d’autres. On sent très bien en les voyant qu’ils ont tout appris ensemble, de leur instrument à la vie. Ils ne sont sans doute pas les musiciens les plus accomplis que vous croiserez cette année, mais sûrement ceux qui sonnent le plus juste, repoussant systématiquement leurs limites, notamment celles d’un chant éraflé. Leurs concerts sont terriblement charnels, on les achève frissonnant, hébété. Eux-mêmes les finissent d’ailleurs souvent perdus, sans le moindre souvenir. “Ça nous emporte dans une sorte de transe… Je déteste les moments d’accalmie entre les chansons, ce retour forcé à la réalité.”
Le groupe, qui nous accueille chaleureusement, est pourtant réputé d’accès difficile. On finit par lui demander pourquoi il nous a acceptés dans son antre de Manchester alors qu’il a refusé plusieurs fois les assauts insistants du puissant hebdomadaire anglais NME et ses promesses de couverture. “La presse anglaise est constamment dans la hype, l’hyperbole, le cynisme, la futilité. J’aurais aimé ne jamais parler mais je refuse qu’on spécule sur notre silence. Je pensais naïvement que la musique suffirait… Mais le pire serait qu’on nous imagine mystérieux ou intéressants. Il y a déjà trop de rumeurs, de fantasmes autour de Wu Lyf. Quitte à raconter des idioties sur le groupe, je préfère qu’elles viennent de nous.”
Wu Lyf aux Eurockéennes
Les Mancuniens joueront le 1er juillet aux Eurockéennes de Belfort, un concert “supported by Les Inrockuptibles”. C’est en effet à l’initiative du magazine et de Kem Lalot, programmateur du festival, que le groupe rejoindra Ting Tings, Beth Ditto, The Shoes et Spank Rock à l’affiche ce jour-là. Kem Lalot justifie ce choix : “Ce qui m’a frappé au premier abord dans Wu Lyf, c’est ce son incroyable, ces morceaux épiques, cette voix éraillée, criée, cette pop endue, glacée… Egalement ce nom de groupe très mystérieux, les infos difficiles à trouver sur cette secte masquée, données au compte-goutte par leur ministre de l’Information… Une programmation aux Eurockéennes s’imposait.”
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