Avec Wu Lyf, collectif de Manchester à l’imagerie opaque et aux chansons aveuglantes, une révolution économique autant qu’artistique est en marche. Ces adolescents souvent masqués, amoureux du risque, ont décidé que le vieux monde était derrière eux.
Manchester. Quand le rock anglais s’égare, hagard, il devient un phare. De là est venue la lumière dans la nuit depuis plus de quarante ans. Joy Division, Buzzcocks, The Fall, New Order, The Smiths, The Stone Roses, Happy Mondays, l’acid-house, Oasis, The Chemical Brothers pour ne citer qu’eux : la liste est longue de ceux qui ont dégondé le rock ou la pop. La liste est longue et elle finit aujourd’hui à la lettre W. Wu Lyf, donc. Prononcer Wu comme dans “Wu-Tang Clan” et Lyf comme “life”.
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Ce sigle guerrier cache une identité plus mystérieuse : World Unite, Lucifer Youth Foundation. On ne remerciera jamais suffisamment l’insomnie qui nous condamna à une de ces nuits exaltantes de recherche sur le net. Au bout de cette quête nocturne, Manchester, et ce collectif aux chansons opaques, aux rituels déjà étonnants. Des garçons masqués pour un rock qui osait l’inconnu. Trois titres alors seulement : on les adopta comme hymnes d’une révolution contre la stagnation, le chiqué, l’affairisme et la lâcheté de trop de rock anglais. On découvrait un groupe qui refusait l’apathie (for the devil), et ça faisait du bien, du mal.
Une des chansons s’appelait Such a Sad Puppy Dog, long maelström de bruits et de furie, commençant en tremblement de terre par un orgue insurgé, en BO de l’Apocalypse, une symphonie de Lucifer, finissant en rap des cavernes, un truc vraiment choquant qui mélangeait les atmosphères viciées de Godspeed You! Black Emperor aux rimes détournées de 2Pac. C’était peut-être une plaisanterie de studio. On la prit au pied de la lettre, comme un morceau important, qui pouvait engendrer une insurrection.
Puis il y avait Heavy Pop, une chanson qui portait merveilleusement son nom, beauté fragile, hurlée d’une voix plaintive et menacée par la lourdeur du monde, en un bombardement d’idées noires et de pluies acides. Cette chanson, à elle seule, rendait militant. Pas une semaine sans qu’on se transforme en ambassadeur, insistant, de ce groupe troublant. Début 2010, Wu Lyf prend chair. Heavy Pop devient à Manchester une soirée mensuelle, qui se tiendra pendant six mois dans le minuscule café An Outlet, installé dans l’un des plus anciens entrepôts laissés par la révolution industrielle.
En poussant les meubles et en couvrant les murs de tentures noires, le groupe établira son nom au rythme de concerts possédés. Un triomphe grandissant, auquel Wu Lyf mit un terme le jour où la hype commença à pointer son vilain nez. Car à l’époque, quiconque se passionne pour le groupe se trouve invité à un jeu de piste récalcitrant, voire hostile. Pas de MySpace, et un site désinformé. Il faut faire avec le peu de renseignements disponibles, comme les différents noms qu’utilisa le groupe. Avant Wu Lyf, donc, il y aurait eu Vagina Wolf, Tu Wang Clan, All In This Together Now Crew, Wu Lf Wu Lf, Wu Def ou We Bros. Il y aurait eu des tentatives hip-hop, des carrières brisées de skate-boarders, des études avortées en brûlant les ponts, pour être certain de ne se consacrer qu’à la musique…
Il y a surtout eu une quête absolue d’inconnu, une intransigeance de tous les instants pour refuser l’inertie, le statu quo. Le frêle mais imposant chanteur Ellery Roberts explique : “J’ai toujours eu en tête une vision de mon groupe préféré, celui que j’attendais. Comme il n’existait pas, je l’ai créé. Je joue désormais le rôle de chanteur dans mon groupe préféré. Mais nous, en tant que garçons, nous n’existons pas, nous ne comptons pas, seul le groupe a de l’importance.”
Au printemps 2010, Wu Lyf met en vente, en série très limitée et chère, son premier maxi, uniquement en vinyle. Commandé, l’objet arriva accompagné d’un livret-poster plutôt occulte et d’un bandana, celui-là même que le groupe portait alors sur scène et sur ses rares photos. Le texte-déclaration de foi, écrit d’une plume hallucinée, mystique, évoquait “le courage d’enfants osant demeurer enfants” et attendant “le porteur de lumière”. Ce thème de l’enfance sacrée revient souvent dans le discours du chanteur. “Je me contente de continuer le genre de jeu de rôle dans lequel on se réfugie quand on est mioche : tout ce que l’âge adulte interdit ensuite. Je joue le chanteur. Il fallait que je sorte de ce que je suis : un petit Blanc anglais des classes moyennes. Toute la musique, les films, les livres que j’aime m’éloignent de ce que je suis de naissance. Chez Salinger par exemple, je me reconnais totalement dans ce mélange extrême d’euphorie et de mélancolie des personnages. Ils font l’adolescence. Mon rôle de chanteur m’autorise à devenir qui je veux.”
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