A l’occasion d’un best-of de Syd Barrett, son manager raconte comment le guitariste angelot de Pink Floyd tomba de haut, sur la tête, avant de devenir une référence. Les acquéreurs du mirifique coffret Crazy diamond sorti il y a huit ans pensaient détenir la totalité des enregistrements post-Pink Floyd de Syd Barrett. Soit les deux […]
A l’occasion d’un best-of de Syd Barrett, son manager raconte comment le guitariste angelot de Pink Floyd tomba de haut, sur la tête, avant de devenir une référence.
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Les acquéreurs du mirifique coffret Crazy diamond sorti il y a huit ans pensaient détenir la totalité des enregistrements post-Pink Floyd de Syd Barrett. Soit les deux albums The Madcap Laughs et Barrett, tous deux publiés en 1970, ainsi que la compilation d’inédits Opel et quelques prises alternatives bringuebalantes grattées au fond des tiroirs. L’attraction principale de ce nouveau best-of, c’est pourtant la présence d’un morceau totalement inédit, Bob Dylan blues, qui avait échappé malgré la cocasserie de son titre à la fouille minutieuse des exégètes de l’époque. Vraisemblablement écrit en 66 et enregistré à la hâte en 70, il s’agit d’une parodie dylanienne équitablement emplie de déférence et d’ironie, suffisamment fumeuse en tout cas pour ne mériter qu’un sort tardif d’aimable curiosité.
Mais tout ce qui se rapporte à Syd Barrett, la créature mystérieuse la plus traquée et fantasmée des îles britanniques depuis le monstre du loch Ness, semble encore valoir son pesant intact d’effets magiques à la limite du paranormal chez les mythologistes de la chose rock’n’roll la médecine psychiatrique ayant quant à elle classé le dossier de Roger Keith Barrett depuis belle lurette. On passera donc sur l’inutilité d’un best-of Syd Barrett (d’autant que celui-ci n’inclut aucun titre de Pink Floyd et usurpe donc gravement son nom, le meilleur de Barrett étant quand même à chercher de ce côté-là), on s’épargnera aussi le ressassement des splendeurs et misères de cette grosse vingtaine de chansons dont les tremblements intimes sont devenus avec le temps et l’amour que certains leur portèrent des secousses telluriques dont l’écho n’est pas prêt de se taire environ un disque sur cinq publiés aujourd’hui en porte encore les stigmates.
L’essentiel, concernant Barrett, est de toujours rappeler combien il initia en moins de cinq ans et à peine quelques dizaines de chansons deux écoles fondatrices de tout le songwriting tel qu’on l’envisage depuis. En groupe, il était capable de faire tenir un arc-en-ciel dans un refrain (les éblouissants See Emily play ou Arnold Layne des débuts) et toute une peuplade de gnomes et d’elfes dans un seul disque astronomique, le sidéral et sidérant premier album de Pink Floyd, The Piper at the gates of dawn. En solo, il apportera à son corps défendant toute la maladresse et la candeur intuitive qui nourriront l’esthétique punk et lo-fi au cours des décennies suivantes. Il était aussi ce guitariste imprévisible dont se souvient Peter Jenner, le premier manager de Pink Floyd : « J’ai vu Syd pour la première fois au printemps 66 lors d’un concert de Pink Floyd et ce qui m’a tout de suite marqué, c’est que je n’arrivais pas à distinguer le son de sa guitare de celui du clavier. A l’époque, le répertoire du groupe était constitué de reprises de standards de blues mais les parties jouées par Syd avaient l’air de venir de l’espace. » D’ailleurs, un an plus tard, Barrett sera déconnecté à jamais du monde réel, nourrissant une paranoïa grandissante qui forcera les autres membres du groupe à l’écarter pour assurer leur survie. Jenner : « Je crois que Syd a moins supporté que les autres le fait de devenir une pop-star et de voir sa photo dans les magazines. Il s’est transformé en quelques mois en une espèce de fantôme et le LSD n’explique sans doute pas tout. »
Laissant tomber le juteux management de Pink Floyd pour suivre les aventures autrement plus accidentées et incertaines de Barrett en solo, Jenner pensa d’abord faire le bon choix, persuadé que le génie de Syd ne tarderait pas à surmonter le reste et à assombrir la carrière de son ancien groupe. Mauvais calcul, car les sessions chaotiques que Jenner tenta de produire en 68 ne firent qu’appuyer l’irrévocable plongeon de Barrett dans les tréfonds de la folie. « Il faisait des apparitions en studio, jouait la moitié d’un titre, un bout d’une seconde et disparaissait sans rien dire pendant trois jours. Il pensait qu’il continuait d’enregistrer avec le groupe, il n’a jamais pris conscience qu’il avait été éjecté. »
Celui qui ne tardera pas à battre définitivement en retraite dans la maison de sa mère à Cambridge ne laissera donc avant de partir que deux albums, deux disques portés à bout de nerfs par les patiences cumulées de Jenner, puis de l’ingénieur Malcolm Jones et surtout de David Gilmour, des tentatives échouées de ramener leur auteur à la raison mais surtout des pièces de musique qui figurent parmi les plus fragiles, sincères et émouvantes qu’il nous ait jamais été donné d’entendre. « De façon inconsciente, moralise Jenner, Syd a sans doute fui pour échapper au jeu de dupe du business. Il a refusé sans le savoir de devenir ce que Pink Floyd est devenu par la suite : une industrie. »
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