African queen. L’Afrique de l’Ouest s’est découvert une diva avant que l’Europe ne l’adopte à l’occasion de quelques concerts et de la sortie d’un troisième album, Worotan, riche en émotions. Porte-parole d’une condition féminine en proie aux coutumes d’un pays, le Mali, où l’hégémonie masculine demeure la règle, Oumou Sangaré a investi dans son chant […]
African queen. L’Afrique de l’Ouest s’est découvert une diva avant que l’Europe ne l’adopte à l’occasion de quelques concerts et de la sortie d’un troisième album, Worotan, riche en émotions. Porte-parole d’une condition féminine en proie aux coutumes d’un pays, le Mali, où l’hégémonie masculine demeure la règle, Oumou Sangaré a investi dans son chant la douleur de plusieurs siècles de soumission. Mais également la force épanouie d’un affranchissement en devenir.
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Voici quatre ans, Don Cherry le premier mentionnait dans une interview le nom d’Oumou Sangaré, jeune chanteuse malienne dont il pensait le plus grand bien. Pour qui connaît le goût sûr du baladin-trompettiste dont le chemin a croisé celui d’éminences musicales aux quatre coins du monde, nul doute que pareil parrainage ne pouvait qu’encourager le désir d’en savoir plus sur cette inconnue d’ébène. Pas un disque disponible sur le marché européen mais déjà une rumeur, qui n’allait cesser de croître.
Ce sera donc sur scène, au regretté Passage du Nord-Ouest, que la découverte se fera. D’emblée le physique de la dame en impose. Son charisme naturel, la puissance de sa voix aux accents pluriels, du cri suraigu au chuchotement plus grave, ses légers pas de danse pour ponctuer les guirlandes mélodiques, une sensualité naviguant de la nonchalance à l’exubérance, tout indique que l’on se trouve en présence d’une diva. Entourée de ses deux choristes, elle dispose de l’espace avec une facilité déconcertante, manie avec agilité les percussions telles les cloches ou le carillon, lance la traditionnelle calebasse dans l’air. Drapée dans sa tunique bariolée, les cheveux finement tressés et les bijoux rutilants, Oumou Sangaré flotte. Légère et pourtant ô combien charnelle. Elle dirige avec douceur son ensemble, se laisse aller à quelque vocalise quand le tempo l’exige, puis ralentit avec sagesse. Un véritable show, mené avec souplesse et autorité.
A 28 ans, Oumou n’est pas une nouvelle venue sur la scène. Cela fait dix ans qu’elle tourne professionnellement, depuis ses débuts en 1986 avec l’ensemble de percussions Djoliba. Sans compter qu’elle bénéficie de l’apprentissage familial de sa mère Aminata Diakhité et d’une grand-mère elle-même chanteuse populaire, courant chanter de baptême en mariage. Sa voie était donc toute tracée. Pas prédestinée comme le veut la tradition au Mali, celle de la caste des griots dont le rossignol de Bamako ne fait pas partie. « Je suis simplement une artiste. » Très jeune, elle monte sur l’estrade et offre un récital aux camarades de classe. Vingt ans plus tard, c’est en jeune femme épanouie qu’elle parcourt le monde entier. Tout d’abord au Mali. Puis dans toute l’Afrique de l’Ouest. Avant d’enflammer l’Europe. L’Allemagne lui fait les yeux doux, l’Angleterre la signe, la France entre dans la danse. Et désormais les Etats-Unis, qu’elle a séduits lors d’une tournée Africolor au cœur de l’été 95 avec Femi Kuti, le fils de Fela, les Haïtiens Boukman Esperyans et Baaba Maal. Dix-huit Etats traversés pour finir dans le temple new-yorkais, nouvellement conquis à la fièvre afro. « Le public américain est plus jeune. Il réagit immédiatement et bouge comme en Afrique. Tandis qu’en Europe les gens restent assis et écoutent plus sagement. »
Malgré ce périple, la cantatrice n’a perdu ni la tête ni la mémoire. Celle qu’on surnomme « la gazelle peule » n’a pas modifié son style. En musique comme dans la vie. Elle demeure toujours à Bamako, la ville qui l’a vue naître un jour béni de février 68. Mais plus qu’à la capitale, c’est au Wassoulou, la province la plus verte dont sa famille est originaire et qui se situe au sud du Mali, et à son ethnie, les Peuls, dont elle a conservé les instruments, rythmes et pointes arabisantes, incarnées par les violons, voire la langue (le wassoulou’nke est une adaptation du malinke), qu’elle se réfère constamment. Elle cultive avec talent ses racines, quitte à les faire sortir de leur terre d’origine. Au sommet de la vague des chanteuses du Wassoulou, à la suite de l’illustre Coumba Sidibé que la cadette admire, Oumou Sangaré surfe sans anicroche entre tradition et modernité. C’est à partir de son quotidien de femme musulmane, mère d’un petit Cherif de 18 mois, qui agite plutôt deux fois qu’une son tambour de bouche, ou des ritournelles ancrées dans son terroir, qu’elle fait étalage d’idées originales. Star adulée en Afrique de l’Ouest, elle persiste et signe des prises de position sur une société malienne qu’elle souhaite voir évoluer. Respectueuse de la coutume, proche d’esprit de la philosophie peule, la chanteuse loue le travail, le Seigneur, la mère Nature, la vie rurale et pastorale. « On cultive encore à la main et l’on s’accompagne par le chant et la danse. C’est l’énergie qui remplace les machines que l’on ne peut se payer. Ici, la musique est toujours présente ! C’est pourquoi toutes les chanteuses du Wassoulou viennent des champs. » Elle porte un regard plus critique sur la société de castes qui condamne la plupart à vivre dans la misère et provoque l’exode qui dépeuple les campagnes. Elle devient véhémente dès qu’il s’agit de la condition féminine. Là, pas question de transiger ni de choisir les détours allégoriques. « Mes chansons peuvent aider à prendre conscience qu’il faut que la condition de la femme en Afrique change. Il y a trop de souffrances. Et je sais que la musique est suffisamment respectée pour que mon message soit écouté.« Ainsi est-elle devenue le porte-parole de toute une génération. Des jeunes femmes, voire des hommes, l’encouragent dans ses mélodieuses harangues. Si elle loue les vertus essentielles de l’amour désiré, la chanteuse utilise son pouvoir pour dénoncer pêle-mêle mariages arrangés et polygamie abusive. « Certains prétendent que c’est notre religion. Je me suis renseignée auprès de ceux qui connaissent les textes. Jamais il n’a été écrit qu’il fallait se marier quatre fois. (…) Et puis on peut prendre une deuxième épouse tout en respectant la première. Il faut les aimer de la même manière. » La jeune femme se réjouit d’ailleurs des « évolutions actuelles, comme la présence de femmes dans le gouvernement ou le fait que les femmes peuvent désormais se marier par amour. Mais il reste encore beaucoup à faire.« Son remède : l’instruction. Oumou Sangaré féministe ? Sans doute, mais pas comme on l’entend dans le débat public de ce côté-ci du monde.
Cassette d’or dès sa sortie, en 1990, Mossoullou signifie « femmes » en wassoulou’nke. Album de la révélation hors du continent africain, enregistré à Londres fin 92, l’album Ko sira se traduit texto par « sur la route du fleuve », mais c’est surtout une métaphore « sur les paroles d’amour et les espoirs d’une jeune fille qui se rend au marigot ». Enregistré en Angleterre en décembre 95, le petit dernier, « déjà un succès au Cameroun, au Mali et en Côte d’Ivoire », se baptise Worotan. « Il s’agit des dix noix de kola que les parents du jeune marié donnent à ceux de la jeune épouse. » En fait, derrière ce rite, Oumou lève le voile sur un système impudique, qui ne permet à aucun moment à la femme de choisir. Trois disques donc en six ans… sans jamais dépasser les soixante minutes de musique par album ! C’est peu mais suffisant pour éviter les travers d’une production pléthorique, trop souvent sujette à délayage. Elle prend son temps, peaufine ses textes, nourrit sa verve de ses expériences. Maîtresse de son destin artistique, c’est elle qui compose sa musique. Elle y apporte un soin particulier, quitte à se faire aider par son joueur de kamale n’goni, littéralement « le n’goni des jeunes », qu’elle a fait entrer de plain-pied dans les studios et qui est, avec le violon, la réponse essentielle à son grain de voix. Sa marque de fabrique. La sourde pulsation de ce cordophone instrument de cinq à huit cordes, en usage chez les chasseurs donne une touche funky aux ballades de la dame. « Disco, rap, reggae, funk, jazz… les rythmes, j’aime ça », confie-t-elle. Cela s’entend, en toute lancinance. Originales ou empruntées au répertoire, ses compositions jouent du vieux principe du chant liturgique des call and respons, entre elle et ses deux fidèles choristes, entre ces dernières et les instruments acoustiques. La verticalité de ses prouesses vocales se conjugue à une profondeur du timbre. En clair, sa voix butine sur tout type de tempo, sur n’importe quel registre.
Aujourd’hui, dans un Mali devenu un immense vivier de musiciens aux styles panachés, du néomodernisme d’un Salif Keita au blues académique d’un Ali Farka Touré, elle représente une heureuse troisième voie. Même si elle a délaissé les fêtes coutumières, même si elle se refuse à donner des récitals dans des foyers africains quand elle est à l’étranger, Oumou s’inscrit dans la tradition, qu’elle renouvelle en pointillés, une oreille collée sur la nouveauté. A cet égard, l’évolution entre ses trois disques est symptomatique. Le premier offrait une vision sobre et épurée. Le second conviait une flûte et de nouveaux interprètes, s’aventurait vers des schémas afro-funk. Worotan multiplie les cartons d’invitation. Pour quatre titres, une section de cuivres dirigée par Pee Wee Ellis en personne. « Nous voulions travailler ensemble. J’ai fait le premier pas. » Mais aussi la mandoline de l’Anglo-Indien Nitin Sawhney, la flûte peule de Yacouba Mamouni. Ou encore la basse jazz-funky de Mike Mondésir. Tous pénètrent dans cet univers avec discrétion et raffinement. La diva ajoute des couleurs par touches délicates, sans gommer les courbes initiales.
Ses trois disques lui ressemblent, se ressemblent. Elle est fidèle à ses musiciens de la première heure, au label World Circuit qui a cru en elle avant les autres. Comme souvent. Elle est fière d’avoir pu rencontrer Myriam Makeba, et plus récemment Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix guatémaltèque. Comme elle, des femmes dont les luttes obstinées n’érodent pas la joie de vivre. Des femmes de tête, bien faite. Des dames de cœur, de constance aussi. La preuve : même les sirènes d’un certain Chris Blackwell « Le patron d’Island m’a invitée à Miami avec la mama Marley pour me proposer un contrat » n’ont eu aucune prise sur la divine Oumou.
Oumou Sangaré, Worotan (World Circuit/Night & Day).
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