[Best of musique 2020] C’est LA révélation punk du top albums 2020 des Inrocks : à 19 ans, Sydney Minsky-Sargeant écrit des tubes trempés dans le post-punk et la dance avec son groupe Working Men’s Club. Tout simplement soufflant.
Attention, cet article mérite toute votre attention ! Ce n’est pas tous les jours que l’on tient la relève du rock britannique. L’impression d’avoir lu ça mille fois ? Oui, peut-être, le cœur, ça s’emballe vite, et puis le Royaume-Uni s’est toujours montré très prolifique lorsqu’il s’agit des guitares, des basses et des batteries. De la bière aussi, mais passons.
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Cette fois-ci, on vous le dit, on vous le jure : ce groupe a le don de faire oublier pas mal de galères, Covid compris ! Non pas au sens du divertissement pouet pouet de masses engluées dans un morne et branlant quotidien. Non, au sens du lâcher-prise, du saut dans le vide, de la libération du corps et de l’esprit avec la sueur et tout, vous vous souvenez ? On en est là, carrément.
Oubliez toutes les productions actuelles, si lisses qu’elles feraient passer une synchro-pub pour du gros punk qui tache. Ce groupe, c’est Working Men’s Club, un patronyme emprunté à ces clubs anglais qui offraient, au XIXe siècle, culture et loisirs aux ouvriers et à leurs familles (concerts, billards, bars, journaux, etc.). Un espace hors travail, hors espace domestique, qui s’était bien vite mué en rêve à portée de main pour une population en mal de respiration, de détente et d’argent.
Un nom tiré d’un cours d’histoire ou, peut-être, tout simplement, de ce nord de l’Angleterre dont le groupe est originaire, coincé quelque part entre Sheffield et Manchester, dans le Yorkshire, là où la pluie tombe et où il n’y a strictement rien à faire – à part peut-être attendre à l’arrêt de bus ou se promener dans les champs détrempés. On empile les clichés, mais c’est ainsi : Working Men’s Club synthétise le son mancunien.
La fougue d’une jeunesse qui ne vit que par l’expression de soi
On dit groupe, mais tout naît dans l’esprit malin de Sydney Minsky-Sargeant, dit “Syd”, 19 ans et le regard aussi acéré que celui de votre voisine du dessous qui tambourine à votre porte aux alentours de 4 heures du mat’. On y lit de la colère, bien sûr, mais parfois, aussi, de la furie voire de la folie. Une envie de tout foutre en l’air, de tout saccager, de tout piétiner. Mais avec morgue. Sans elle, le regard acéré perdrait l’insolence qui le sauve du pathétisme. Avec elle, le regard acéré traduit la fougue d’une jeunesse qui ne vit que par et pour une chose : l’expression de soi.
Comme une pulsion de vie que certain·es, malheureusement, perdent au fil du temps. Que d’autres conservent, bien heureusement. Mais, là aussi, attention, on ne parle pas d’égocentrisme, encore moins de nombrilisme. On parle plutôt d’une expression, pure et dure, acérée comme le regard noir à vous secouer l’âme. C’est ce que nous répète Syd au téléphone (Covid oblige) : il veut s’exprimer. C’est pour cela qu’il se lève chaque jour (on ne lui a pas demandé à quelle heure) : pour apporter sa pierre à l’édifice, pour dire ce qui lui colle aux poumons, ce qui lui chatouille les entrailles, pour traduire la lame qui brille dans son regard acéré.
Ses parents ont eu deux bonnes idées : l’inscrire à des cours de guitare dès l’âge de 5 ans et passer un best-of de David Bowie en boucle dans la voiture. Ces deux facteurs s’interconnectent très rapidement dans son cerveau. C’est décidé : il vivra par et pour la musique. Cela aurait pu ne rien donner. Il y en a un paquet, des adolescent·es décidé·es à dédier leur vie à l’Art avec un grand A. Mais tout le monde n’est pas Syd, n’a pas le même regard acéré, noir à vous secouer l’âme. Pour faire simple : tout le monde ne sait pas écrire un morceau. Syd, lui, sait.
Comment, on ne le saura pas, il est incapable de l’expliquer. Il sait juste qu’il compose et écrit dans sa chambre, à l’aide de sa guitare. Pour l’expression de soi comme pour briser l’ennui.
“J’ai grandi entre mes deux parents divorcés, mais majoritairement à Todmorden, au nord de Manchester. Il ne se passe pas grand-chose. Tu croises les mêmes personnes tous les jours dans la rue. Je m’ennuyais, je cherchais à m’amuser, donc j’ai monté un groupe.” Ses partenaires s’appellent Giulia Bonometti et Jake Bogacki, respectivement à la guitare et à la batterie. Bien vite, le trio écume les petites salles locales, “très importantes dans le développement d’un groupe”, martèle Syd, effaré par l’étranglement du live à l’heure du Covid. “Notre label Heavenly ne saurait pas qui l’on est sans ces salles. Il faut les saluer.”
Comme si Gang Of Four ressuscitait
Pour l’avoir programmé et vu jouer aux Inrocks Festival à La Gaîté Lyrique en mars dernier, il faut bien dire que Syd maîtrise la scène. Le gamin l’arpente torse nu avec son tambourin, lui saute dessus avant de se contorsionner micro en main, l’empoigne avec le délice d’un enfant lâché dans un magasin de jouets. La scène, c’est son truc, charisme transpirant et visage poupin d’un adolescent qui ne connaît encore rien du monde et qui parvient, paradoxalement, à dire avec pertinence quelque chose de la fureur de vivre.
Rien d’étonnant à ce que Working Men’s Club ait fait les premières parties de Fat White Family et Mac DeMarco. Mais revenons à 2019. Le label mancunien Melodic les repère et sort leur premier single, Bad Blood, lacéré de guitare post-punk comme si Gang Of Four ressuscitait, martelé par la scansion entêtante, entraînante d’un chanteur que l’on croirait possédé.
“Quand on a sorti notre premier single, on est passés d’un groupe qui jouait par hasard dans de petites salles de Manchester à un groupe que des gens venaient vraiment voir. Ça nous a portés et on ne s’y attendait pas. C’est assez fou quand ça arrive. Après ça, il y a eu beaucoup de travail pour garder le niveau.”
Soufflé par le single, le boss du label londonien Heavenly (Baxter Dury, Saint Etienne), Jeff Barrett, originaire lui aussi du nord de l’Angleterre, les programme à Londres.
“Dans la salle, c’est un de ces rares moments où je me suis totalement coupé de ce qui m’entourait. J’étais happé par Syd. Il avait tous les attributs de la star. L’innocence, la naïveté, mais aussi une dangerosité, quelque chose que seul un adolescent peut te donner. Je me suis dit ‘Malcolm McLaren et les Sex Pistols, c’était de la poésie.’ J’ai ce genre de prétentions sur moi-même ! (rires) Le paysage musical a changé mais je sais encore comment aider un groupe à percer.”
Le producteur Ross Orton appuie le virage électronique
Working Men’s Club est signé en l’espace de quinze jours, et Syd toque à sa porte avec un nouveau single, Teeth, et la peur qu’il ne colle pas au son du groupe. En vérité, une bataille fait rage entre le guitariste-batteur Jake et lui, le premier privilégiant le rock sale de la batterie live, le second chérissant le côté électronique de la boîte à rythmes. Jeff tranche : Teeth est une bombe. Jake claque la porte, Giulia à sa suite.
Quelle drôle d’histoire que celle de ce groupe lycéen qui implose avant même de sortir son deuxième single. Histoire d’autant plus folle que Working Men’s Club perdure, avec l’historique Liam Ogburn à la basse et les nouveaux venus Mairead O’Connor des Moonlandingz et Rob Graham de Drenge. “Cinq jours après la tragédie, les gosses jouaient à Londres. Ils ont des couilles !”, résume Jeff, hilare. C’est lui qui a la très bonne idée de mettre Syd dans les pattes du producteur de Sheffield Ross Orton (The Fall, M.I.A., Arctic Monkeys).
« Il m’a donné confiance en studio. Il m’a fait me sentir à l’aise avec ma musique. Son arrivée est ce qui s’est produit de plus important depuis le single Bad Blood.” Ross Orton appuie le virage électronique qui titille Syd depuis toujours, lui qui fréquente les clubs et bars de sa ville natale où se produisent de nombreux DJ techno et dance, comme le mythique Andrew Weatherall, producteur et DJ (Screamadelica de Primal Scream, l’incroyable remix de Hallelujah des Happy Mondays) décédé en février dernier.
Une urgence à bouffer la vie jusqu’à l’os
C’est cette puissante rencontre entre le post-punk gothique mancunien et les rythmiques dance, techno ou acid qui fait la force brute du son Working Men’s Club, qui dégueule de références mais échappe à la gênante nostalgie en proposant une véritable radicalité moderne.
Lorsqu’on mentionne Joy Division, Oasis, The Stone Roses, Pulp, on sent Syd hausser les épaules à l’autre bout du fil. Un silence se fait. Il raconte avoir été bercé dans les mythologies shefildienne et mancunienne mais ne pas chercher à faire du copier-coller. “Sans vouloir passer pour un mec ingrat, je m’en fous un peu de ce que pensent les gens. Je ne cherche pas à faire plaisir à quelqu’un”, balance-t-il lorsqu’on le questionne sur son sentiment vis-à-vis de la sortie de l’album.” Tout a toujours été le propos de Syd, résume Ross Orton. Il écrit et compose tout, depuis le départ. Working Men’s Club, c’est Syd.”
Ce n’est donc pas le portrait d’un groupe que l’on brosse mais bien celui d’un gamin au regard acéré, quelque part entre Ian Curtis et Tim Burgess, ou bien celui d’une urgence, celle de bouffer la vie jusqu’à l’os, de le ronger jusqu’à la moelle, de tout cramer pour mieux hurler. Toute triste qu’elle soit, l’absence de lives ne devrait pas altérer la propulsion de Syd, qui a déjà bouclé une ébauche de deuxième album. « Syd a une vision. Il est intelligent, concentré”, s’extasie Jeff Barrett. Bienvenue dans le club du visionnaire.
Working Men’s Club (Heavenly/PIAS), sortie le 2 octobre
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