Remarquablement instruit et salement mal élevé, ce rock’n’roll stupéfie par son élégance et son à-propos. Ainsi, la chose bouge encore. Quelque quarante années après les premières contorsions d’Elvis, le rock’n’roll, cette musique du diable, idiome bâtard et perverti, phoenix donné cent fois pour mort, jadis réanimé par l’électrochoc Beatles ou ressuscité par l’imposition des mains […]
Remarquablement instruit et salement mal élevé, ce rock’n’roll stupéfie par son élégance et son à-propos.
Ainsi, la chose bouge encore. Quelque quarante années après les premières contorsions d’Elvis, le rock’n’roll, cette musique du diable, idiome bâtard et perverti, phoenix donné cent fois pour mort, jadis réanimé par l’électrochoc Beatles ou ressuscité par l’imposition des mains calleuses de Doctor Feelgood, le rock’n’roll donc, aujourd’hui requinqué à coups de pied dans le ventre par Jon Spencer, revitalisé à grandes lampées de bile aigre par Sixteen Horsepower, refuse de crever. Illustration par l’exemple : Wolf songs for lambs de Jonathan Fire Eater. Onze morceaux gravés dans le marbre dont les Stones firent Out of our heads, puis rectifiés au marteau-piqueur, soufflés à la dynamite, éparpillés aux quatre coins d’un disque déphasé, amnésique, sans âge, sans règle, sans fondement.
Ayant fait table rase d’une culture méticuleusement glanée dans les arcanes de la discothèque idéale, initié aux rites cruels de passage à l’âge (frime, poudre, dèche), passé par la case débrouille des singles maison et des disques introuvables, Jonathan Fire Eater fait comme si rien n’avait jamais été, enfonce des barrières spatiotemporelles, reprend les choses avant même qu’elles aient vraiment commencé. De New York à Memphis puis Londres, aller et retour dans la foulée, sans prendre le temps de poser ses valises. Avec Wolf songs for lambs, le rock’n’roll redécouvre les vertus du cri primal et de l’urgence, les bienfaits d’une batterie sourde comme un pot, le baume d’un orgue de cantiques binaires, la médication d’une guitare taillée dans une casserole.
Stewart Lupton chante comme un Mick Jagger d’avant la ménopause un Jagger en chaleur , bouffe, crache et pète le feu, son groupe joue sur des instruments de brocante, enregistre dans les tréfonds d’un garage préhistorique, sur un magnéto à galène, mais pas un seul instant Jonathan Fire Eater ne sonne daté. Aux innocents les mains pleines. Celles de Lupton (le genre gâté par la nature) débordent de tout : d’intelligence, de spontanéité, de classe la sensualité est en prime. Son rhythm’n’blues corrodé corrosif , ses chansons, insolentes de jeunesse et de morgue, disent merde aux pisse-froid qui brandissent déjà la mitraillette aux références, filent au passage un méchant coup de vieux aux Cramps et clouent le bec des chantres de la modernité à tout crin. Qu’on se le dise : les loups sont lâchés. Bizarrement, les agneaux hurlent avec eux. De bonheur.
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