Dans la rétrospective de William Eggleston, le regard clinique du photographe américain frappe encore. Malgré une scénographie manquant de rigueur.
Une bouteille de Coca vide abandonnée sur le recoin d’un distributeur de cigarettes, deux jeunes femmes sommeillant dans un canapé, un vieil homme reposant seul dans une chambre de motel. Pris au hasard, ces clichés du photographe américain William Eggleston sont symptomatiques de toute sa production : ils manifestent tous une absence totale de fascination pour ses sujets, comme si sa curiosité avait été minée par un détachement tenace.
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En exposant 150 clichés qui vont des années 60 à aujourd’hui, la Fondation Cartier consacre au photographe, né à Memphis en 1939, une importante rétrospective. D’abord influencé par Henri Cartier-Bresson et Walker Evans, les grands maîtres du noir et blanc, William Eggleston utilise très rapidement, vers 1965, la photographie couleur, en s’appuyant notamment sur la technique du dye-transfer, qui permet la manipulation une à une des couleurs durant le développement. Le procédé donne un ton bien particulier à l’image, tirant vers un aspect désuet, criard et intense : une texture déjà vue dans les films américains tournés en Technicolor. La première grande exposition du photographe, en 1976 au Musée d’art moderne de New York (MoMa), fait sensation. Eggleston dévoile en couleurs une Amérique tranquille et triste à la fois, désespérément dénuée de vie, presque désertique l’anti-american way of life. Un tricycle pour enfant devant un pavillon de banlieue et l’intérieur franchement glauque d’un motel offrent la vision d’un pays sans histoire, sans aucune violence ou tension sous-jacente, et stigmatisent une Amérique immobile, paradoxalement peuplée de voitures paquebots, de Cadillac. Ces clichés à la lisière du reportage, dépourvus de sentiments et de compassion, sont également en total décalage avec la vie tumultueuse du photographe, dandy issu d’une grande famille de planteurs, ayant un goût prononcé pour les armes à feu, et auteur d’exactions souvent réprimées par la police.
On retrouve ces premières photographies dans une salle de la Fondation Cartier, restituant ainsi, sans équivoque, l’apport du photographe à l’art contemporain : un rapport direct et frontal avec une réalité brute, qui influencera notamment Nan Goldin. Pour le reste, l’exposition se présente comme une vaste entreprise de réactivation de l’ uvre tout entière du photographe. Avec ses bons côtés, dont le contact direct avec des photographies immédiatement attractives et séduisantes (Eggleston parvenant avec finesse à concilier couleurs chatoyantes et ambiances sinistres). Produisant un tourbillon de formes et de couleurs, l’accumulation des clichés dans l’espace d’exposition donne la sensation d’une plongée sans artifices dans l’Amérique profonde. Les mauvais côtés de cette rétrospective, quant à eux, se concentrent surtout sur l’accrochage très hasardeux, juxtaposant, par exemple, le portrait d’un homme et celui d’un camion. La scénographie, de même très critiquable, conduit le plus souvent à quelques méprises dommageables. Notamment par l’utilisation de photos de sujets kitch (comme une madone et un faon en plâtre) qui jalonnent l’exposition, rappelant trop souvent les clichés de Martin Parr. Elle tente ainsi de noyer la logique systématique du photographe, qui développe un langage froid et coloré, sans humour. Pourtant, ce qui est à l’ uvre dans ces photos, ce n’est pas la dérision du kitch, mais un regard désespérément clinique, proche du constat de police.
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Jusqu’au 24 février 2002 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, boulevard Raspail, Paris XIVe. Tél. 01.42.18.56.50.
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