Deux ans après un premier album rock, les Noisettes s’offrent un retour flamboyant sous haute influence sixties. Rencontre londonienne avec un groupe frondeur et sûr de sa valeur.
Munorurama : c’est le nom d’une compagnie de bus reliant la ville de Lilongwe, au Malawi, à Johannesburg, en Afrique du Sud. Le trajet, la route et le contexte sont si dangereux que l’entreprise a dû trouver un pseudonyme rassurant pour attirer les voyageurs : Munorurama signifie “Nous survivrons” – pas de quoi donner l’envie de bondir à l’arrière du car. “C’est un peu mon slogan personnel, ma philosophie, annonce d’emblée Shingai Shoniwa, chanteuse des Noisettes. J’ai déjà survécu plusieurs fois.”
Si la jeune femme a des origines zimbabwéennes par sa mère, c’est pourtant loin de l’Afrique qu’elle a grandi : dans les quartiers pauvres de la banlieue sud de Londres. “Je n’ai pas eu d’autre choix que d’essayer de m’évader avec l’art, la musique. Si je n’avais pas gardé une certaine forme de foi, je ne serais pas allée loin. Ma mère a souvent écouté des musiques de rébellion, ça m’a influencée. Je lui dois beaucoup : je pense qu’il est primordial que la vie reste le plus romantique possible, que l’on continue à vouloir exaucer ses rêves. Ce n’est pas par pessimisme, au contraire : je reste convaincue que chaque jour peut être le dernier et cela me rend positive.”
Après des cours de théâtre et une brochette de petits rôles, la demoiselle rencontre le guitariste Dan Smith et forme le groupe Sonarfly. La paire est bientôt rejointe par le batteur Jamie Morrison et troque son nom pour le sobriquet de Noisettes. A ceux qui croient y déceler des affinités musicales avec le genre girls-band (Ronettes, Pipettes, etc.), un premier album, What’s the Time MrWolf?, vient, en 2007, rapidement ôter le doute : les Noisettes, Jean-Claude Van Damme sera content, font du “noise”, du bruit.
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Pas de place ici pour les gentils refrains pop ou les tenues girly romantiques : leurs guitares sont tranchantes, leurs refrains virulents, leurs prestations scéniques explosives. La vision de Shingai Shoniwa maltraitant sa basse sur scène évoque une rencontre hypothétique entre la tyrannique Grace Jones et les vénères Queens Of The Stone Age. Mais tout ce raffut ne suffit pas à provoquer le succès escompté, et le groupe se voit rendre son contrat par sa maison de disques. Il doit s’en remettre au sens premier du prénom de sa chanteuse : Shingai signifie “persévérance” en shona, langue nationale du Zimbabwe. “On s’est retrouvés sans label, sans projet concret. Mais ça ne nous a pas empêchés de continuer à y croire. Nous avions des centaines de concerts derrière nous et, avec les années, nous avions acquis une vraie cohésion au sein du groupe. Au départ, être dans les Noisettes, c’était un peu comme essayer de remonter un escalator qui descend, avec un cornet de glace qui fond dans chaque main. Aujourd’hui, c’est comme aller faire une promenade au parc.”
La raison de ce changement : le carton d’un single de ce deuxième album Wild Young Hearts, intitulé Don’t Upset the Rhythm – s’il reste de loin le morceau le moins élégant du disque, son refrain putassier et sa mélodie vulgaire n’ont pas tardé à convaincre la grosse FM britannique. “Notre force, avec le recul, est probablement d’avoir réussi à travailler avec le producteur Jim Abbiss alors que nous n’avions plus de label. On s’est rencontrés, on a simplement parlé des disques que nous aimions, de nos familles, et le contact est passé. On a évité les discussions pénibles sur le matériel de studio, les méthodes de production. Au final, je pense que cette collaboration a dû attirer l’attention des professionnels. Pourtant on avait hésité à travailler avec lui. C’était l’homme qui était derrière les Arctic Monkeys, et on n’avait pas envie d’être rattachés à l’étiquette “indie” qui en découlait. Mais il avait aussi travaillé avec DJ Shadow et finalement on a eu raison de lui faire confiance, l’échange a été très instructif.”
Une collaboration qui permet aujourd’hui aux Noisettes de continuer à aller à contrecourant : là où beaucoup de groupes voient le succès fulgurant de leur premier album suivi d’un échec cuisant au moment du second, les Noisettes inversent la tendance et s’offrent la gloire, six ans après leur formation. Symptomatique d’une industrie du disque qui ne sait plus comment gérer sa crise, le groupe, à la rue il y a à peine un an, s’est en effet vu proposer un nouveau contrat et, au moment de notre rencontre londonienne, revenait tout juste d’une escapade américaine avec jet privé, concert VIP et tout le toutim. “On a toujours cru que le succès arriverait, explique le batteur Jim. Je veux dire, on a les morceaux, on a les concerts. Tout ce qu’il nous restait à avoir, c’est le look.” Question apparence, il faut en effet préciser que les Noisettes n’ont pas lésiné sur les moyens : eût-elle enfilé un abat-jour en guise de jupe, un bouquet de fleurs en guise de chapeau, la délicieuse Shingai Shoniwa n’en aurait pas pour autant perdu la classe. Aperçue le lendemain de notre entretien, son groupe ouvrant les festivités pour Maxïmo Park sur la scène de la Brixton Academy, elle semblait porter en elle les quinze dernières fashion weeks : talons aiguilles sur la pédale disto, minijupe à traumatiser le premier rang, jambes interdites aux mineurs et maquillage à faire pleurer Barbie pour les cinquante prochaines années. Rien d’inhabituel quand on se souvient d’une première rencontre londonienne lors de laquelle elle nous était apparue fraîche comme une fleur, avec une collection de voitures pour enfants épinglée dans les cheveux. Icône de musique et de mode à la fois, la chanteuse rejoint ainsi la belle famille de Debbie Harry, Madonna ou Jarvis Cocker.
Il serait pourtant réducteur de n’attribuer le succès de ce deuxième album qu’à l’esthétique du groupe. Une fois l’emballage dépassé, Wild Young Hearts offre plus qu’un digne successeur à What’s the Time Mr Wolf?, une véritable renaissance : les refrains rock et riffs assassins ont laissé place à un songwriting plus soigné, et la moitié des titres, au moins, affichent une production résolument sixties. “On n’a jamais eu l’intention de sonner comme ça, mais on a utilisé beaucoup de matériel d’époque : des micros, des batteries, des tables de mixage. Cela étant, on aime autant la musique des sixties que l’electro ou le rock contemporain. L’idée d’un album nostalgique ne nous plaît pas, on se sent très modernes.” Résultat de cette double influence, un titre comme Every Now and Then constitue le chaînon manquant entre la pop en cascade de Phil Spector et le r’n’b contemporain : une mélodie en culbuto, un discours féminin mélancolique et des arrangements impeccables qui pourraient bien offrir aux chaînes câblées leur plus honorable tube de l’année.
Quelque part entre la plus nonchalante Amy Winehouse et la plus revendicatrice Kelis, Shingai Shoniwa s’impose comme l’une des grandes chanteuses anglaises du moment, rappelant, le temps d’une poignée d’amuse-bouches (Sometimes, Never Forget You), qu’elle fut à une époque interprète dans un groupe de reprises de Diana Ross. “Je préfère les chansons d’amour où les femmes ne se plaignent pas. Je crois qu’on a tous eu notre dose de morceaux comme ça. La rengaine “il m’a trompée, je pleure, je demande votre compassion”, on la retrouve de Billie Holiday à Beyoncé. Je préfère la vision de Kate Bush, qui ne se pose jamais en victime et écrit pourtant des chansons d’amour formidables. Je ne me suis jamais posée en victime et ça m’a plutôt réussi jusqu’à présent.” Munorurama, comme elle dit.
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