Le prestigieux label anglais Warp, maison mère d’une électronique sans compromis, fête ses vingt années d’activisme avec des concerts à Paris. Retour sur une prodigieuse aventure, partie de Sheffield pour bouleverser à tout jamais l’électro mondiale.
Tous les efforts de Rob Mitchell et de Steve Beckett n’auront désormais qu’un but : domestiquer la scène post-techno et l’aider à se couler dans les sillons des 33 tours. Warp, à l’instar de ses aînés Creation ou Factory, agit comme un catalyseur d’artistes singuliers qui peuvent dorénavant envisager une carrière sur le long terme, ce qui paraissait invraisemblable quelques années plus tôt quand leur univers se bornait aux seuls maxis.
[attachment id=298]Les deux premiers albums publiés par Warp sont C.C.E.P. de Sweet Exorcist et surtout Frequencies de LFO en 1991 : ce passage du club aux platines domestiques fonde la modernité de la culture électronique qui, désormais, est prête à contaminer tous les foyers. Les deux compilations Artificial Intelligence 1 & 2 (1992 et 94) apparaissent aujourd’hui comme des manifestes : s’y côtoient déjà B12, FUSE (Richie Hawtin), Autechre, The Black Dog (futurs Plaid) ou Polygon Window (Richard D. James, qui deviendra Aphex Twin).
En attirant ces laborantins dans son giron, Warp établit les fondations de l’Intelligent Dance Music (une expression largement galvaudée depuis), non sans une pointe d’ironie très british. Steve Beckett : “Vous pouviez vous asseoir et écouter un album de Kraftwerk ou de Pink Floyd. C’est pourquoi nous avons mis ces stickers sur les compilations Artificial Intelligence, pour faire rentrer dans l’esprit des gens qu’ils n’étaient pas obligés de danser ! » Ces compilations accompagnent une série d’albums, dont le premier d’Autechre, Incunabula (1993). Rob Brown et Sean Booth, Autechre à eux deux, constituent la première aile expérimentale du label avec leurs textures fragmentées, cérébrales et froides comme le métal.
En 1994, une figure de l’underground ambient londonien, né en Cornouailles, rejoint officiellement l’écurie Warp sous le nom Aphex Twin (A pour acid et pH pour la valeur chimique de l’acid, dit-on). Richard D. James a déjà à son actif de nombreux maxis, dont le légendaire Analogue Bubblebath, et il a créé son label, Rephlex. Sa musique devient dès lors plus complexe, passant d’un rave-ambient martiale (Digeridoo) à une drum’n’bass méthodiquement déconstruite, aux accents parfois nostalgiques. La drum’n’bass, un autre fondement de la culture britannique des années 90, que les artistes Warp explorent à leur manière, en la tordant jusqu’à l’implosion. I Care Because You Do (1995) et surtout Richard D. James (1996) voient la popularité d’Aphex Twin exploser. Le jeune prodige Chris Cunningham, tout juste sorti des plateaux de Stanley Kubrick et de David Fincher, soigne les clips des maxis Come to Daddy (1997) et Windowlicker (1999) en façonnant une imagerie bizarre et ambiguë, qui défraie la chronique. Aphex Twin est désormais une star. Il se contente depuis de publier ses archives, entretenant son image de génie atrabilaire du fond de son bunker londonien ou de sa retraite campagnarde (même si les rumeurs d’un nouvel album sont confirmées par Steve Beckett).