Parmi la flopée de jeunes chanteurs envoyés par la performante école américaine, la soprano Dawn Upshaw s’impose comme le plus pur diamant. Discrètement présente sur les scènes françaises jusqu’à ce jour, elle explose actuellement sur le plateau de l’Opéra Bastille, révélant un tempérament de mozartienne sans grande concurrence. Cette fois, la mèche est vendue. La […]
Parmi la flopée de jeunes chanteurs envoyés par la performante école américaine, la soprano Dawn Upshaw s’impose comme le plus pur diamant. Discrètement présente sur les scènes françaises jusqu’à ce jour, elle explose actuellement sur le plateau de l’Opéra Bastille, révélant un tempérament de mozartienne sans grande concurrence.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette fois, la mèche est vendue. La dernière fois que nous l’avions croisée, Dawn Upshaw n’était encore qu’une chanteuse vénérée par quelques fans, devant laquelle nous adoptions des poses entortillées d’amoureux transi. Depuis deux jours ce lundi fatidique où le rideau s’est levé sur la reprise d’Idomeneo de Mozart à l’Opéra Bastille, starring Mrs Upshaw , la belle est l’objet de tous les regards et de toutes les attentions. D’ici peu, quelque dix mille spectateurs l’auront applaudie dans le rôle d’Ilia, ce ne sera plus comme avant. Tout Paris ne parlera plus que d’elle, et nous, on restera là avec notre pauvre flamme, ne sachant trop avec lequel des dix mille lyricomanes partager notre passion désormais vulgaire.
Heureusement, Dawn Upshaw n’est jamais vulgaire, c’est ce qu’il faut se dire pour se réchauffer le moral. On sait que jamais cette chanteuse hors norme ne rentrera dans le petit cirque lyrico-mondain qu’elle a toujours pris le plus grand soin d’éviter. On ne la verra pas en manteau d’astrakan, semant dans son sillage une nuée de maquilleuses affairées et d’admirateurs dévots, passant de Tosca à Traviata d’un simple coup de jet. Dawn Upshaw n’est pas de cette engeance : c’est pour sa singulière faculté à se situer en marge de tous ces clichés qu’on l’aime depuis le premier jour, c’est pour cela qu’on aime la retrouver, déambulant dans les couloirs de l’Opéra Bastille en jean et pull bleu, lançant des « Hi! How’re you doing » à la volée et se fondant naturellement dans le flot des choristes et machinistes de cette studieuse journée de janvier.
Dans sa loge sobre et spartiate, elle se réjouit de la prise de contact avec ses partenaires, le chef d’orchestre Marc Minkowski et le metteur en scène Jean-Pierre Miquel. « Il est difficile d’évaluer une production avant d’être arrivé à la deuxième semaine de répétitions. Mais déjà, avec Minkowski et Miquel, nous avons su dès le premier jour que ce serait une belle expérience. Idomeneo a beau être de l’opera-seria, les rôles y sont passionnants. C’est toujours intéressant pour moi de travailler sur un personnage comme Ilia, qui n’est ni blanc ni noir, où je découvre sans cesse de nouveaux aspects et que je peux faire évoluer au gré des différentes productions. » On risque une hypothèse : sa parenté « instrumentale » avec Minkowski lui bassonniste, elle hautboïste facilite-t-elle les rapprochements ? « J’ignorais qu’il jouait du basson. C’est une coïncidence intéressante ! Je ne sais pas si ça va nous faciliter le travail, c’est une situation tellement rare pour moi… Mais c’est vrai que ma pratique du hautbois, ma façon de jouer m’ont certainement aidée comme chanteuse. C’est bien d’avoir une expérience instrumentale en dehors du chant. »
C’est toujours un drôle de soulagement quand on constate que l’opéra n’est pas entièrement livré aux marchands de soupe ceux qui vous feraient passer la dernière compil de Big Luciano pour le summum du bel canto , qu’il se trouve encore des artistes pour défendre une certaine conception saine et inventive du métier. C’est pour cela qu’on a aimé Upshaw. On l’a aimée pour sa voix, aussi. Tout a commencé ainsi. Un beau jour, surgissant de nulle part (des abords de Chicago, plus exactement), une voix venait se poser sur des mélodies de Barber et Stravinski avec la grâce d’un papillon voltigeant de feuille en feuille. C’était en 1990, le premier récital discographique de Dawn Upshaw. Fille de folk-singers de l’Illinois, elle avait été repérée quelques années auparavant par le chef d’orchestre James Levine, qui lui avait procuré ses premiers engagements au Festival de Salzbourg et au Met de New York (le bon Jimmy aura au moins fait ça de bien dans sa carrière). La jeune chrysalide s’était rapidement fait une réputation aux Etats-Unis, notamment comme interprète mozartienne. Il aura fallu ce Knoxville: Summer of 1915, cependant, pour qu’on prenne conscience que d’Amérique venait d’éclore un sacré talent.
On surveilla dès lors sa moindre apparition qui fut, on le sut d’emblée, le mot le plus approprié pour désigner ses prestations. Car Dawn Upshaw ne chante pas, elle se réincarne : âme unique réapparaissant sous les espèces les plus diverses, voix traversant les siècles et les répertoires avec agilité. De Purcell aux dernières tendances contemporaines, les musiques sont pour elle autant d’habitacles où loger une âme baladeuse et foncièrement spirituelle. On ne s’est donc pas étonné quand l’Opéra Bastille (déjà) lui confia le rôle fugace mais tout désigné de l’Ange dans le Saint François d’Assise de Messiaen, reprise d’un spectacle étrenné au Festival de Salzbourg : ce n’était que justice. De rôle en rôle, de disque en disque, Upshaw continua à imposer la même présence troublante, le même charme ingénu et cette voix qui, curieusement, semblait ne jamais devoir vieillir. Métempsycose ? Non : Mozart. « Sa musique est idéale pour garder une certaine fraîcheur vocale », assure-t-elle.
Sa voix donc, la plus radieuse peut-être qu’on ait connue depuis Irmgard Seefried, Hilde Güden ou Cebotari. Mélange indéfinissable de candeur et de raffinement, à la fois simple et riche de toutes les irisations. Le timbre se fait plus grave, parfois, mais il n’en contient pas moins la douce promesse de l’aube. Dawn Upshaw est la voix qui console : elle est l’ange gardien qui, aux sombres heures de la nuit, se pose sur votre épaule comme un petit oiseau et vous chuchote des paroles apaisantes. Bonne fée, elle dissipe vos cauchemars et se fait fort d’exaucer vos rêves les plus secrets. Rieuse et effrontée, compréhensive : elle est Delphine Seyrig, Audrey Hepburn, Julie Andrews, la Mary Poppins des scènes lyriques.
Il y a, dans La Flûte enchantée de Mozart, ce passage magnifique où trois jeunes garçons descendent du ciel pour empêcher Pamina de se suicider. Les rôles sont inversés, mais l’effet est le même. Dawn Upshaw a tout compris de cette scène de compassion active, et elle vous tire des larmes (l’enregistrement dans son ensemble, d’ailleurs, dirigé par Roger Norrington pour EMI, mériterait d’être sérieusement réévalué).
Il y aurait sûrement beaucoup à dire sur ce lien privilégié, quasi divinatoire, qui unit Dawn Upshaw au monde de l’enfance. L’œuvre de Barber où elle fit ses premières armes, Knoxville: Summer of 1915, est la description d’une petite ville de province au crépuscule vue à travers les yeux d’un enfant (un splendide poème de James Agee). La Troisième symphonie de Górecki, le succès planétaire dont elle était mais oui l’inoubliable interprète, ne parlait pas d’autre chose : les chants qui la composent évoquent la supplique d’une jeune fille emprisonnée par la Gestapo à sa mère, et la prière d’une femme devant le cadavre de son fils. Enfin, au moment même où Dawn Upshaw campe sur la scène de la Bastille le rôle d’Ilia, paraît en France son nouveau récital dont le propos initial (entre-temps détourné) était de proposer une collection de… berceuses. « J’étais partie sur cette idée d’un récital de berceuses. De fil en aiguille, au hasard de mes recherches, je suis tombée sur toute une série de musiques plus généralement consacrées à la nuit, à la lune ou au sommeil. J’ai décidé d’en réunir quelques-unes et de remettre à plus tard mon projet de berceuses. Je crois que l’enfance est une part importante de moi-même. Je ne veux pas perdre le contact avec elle ni oublier ce que c’est. Par chance, la naissance de mes deux enfants m’a permis de me rapprocher encore plus de ce monde-là. Même s’ils sont encore trop jeunes pour s’intéresser vraiment à ce que je fais (sa fille a 6 ans et son fils quelques mois), il est certain que leur arrivée a eu un effet déterminant sur mon choix de répertoire au cours des trois dernières années. Grâce à eux, j’ai sûrement acquis une compréhension plus intime de toutes les musiques qui ont trait à l’enfance. »
White moon, le récital en question, est la dernière aventure d’une chanteuse qui a eu la chance de trouver en Nonesuch un label compréhensif, attentif à ses choix de carrière et encourageant ses audaces (à commencer par le programme de ce nouveau disque, assemblage hétéroclite regroupant Dowland, Haendel, Monteverdi, Warlock, Villa-Lobos et l’extravagant George Crumb). C’est par l’entremise de Bob Hurwitz, son producteur chez Nonesuch, qu’elle a pu rencontrer le compositeur John Adams et signer avec lui un programme de mélodies américaines réorchestrées (American elegies). C’est dans le même esprit de famille qu’a été réalisée la Troisième de Górecki, avec le chef maison David Zinman, et tous les projets à venir de la chanteuse. Parmi lesquels on se bornera à citer celui auquel elle accorde le plus d’importance : l’enregistrement, chez Erato, de son rôle fétiche, l’héroïne du Rake’s progress de Stravinski qui, comme par hasard, porte le doux patronyme d’Anne Truelove - l’Amour Vrai.
Dawn Upshaw, White moon (Nonesuch/Warner). Knoxville: Summer of 1915 (Nonesuch/Warner)
Jacques-Emmanuel Fousnaquer
{"type":"Banniere-Basse"}