D’une voix nouvelle et sans guitare, PJ Harvey fait plus que se réinventer : elle signe un chef-d’œuvre.
Quinze ans après avoir introduit la guitare-rasoir à six lames et ce chant de muqueuses enflammées qui constituaient Dry, son premier album, PJ Harvey est à nouveau vierge. Blanche comme la craie (White Chalk), mais toujours aussi coupante et dépolie que l’ardoise. Composé quasi intégralement au piano – instrument qu’elle touchait ici pour la première fois –, ce neuvième album ne repose pas uniquement sur ces histoires d’outillage et de baptême, mais il leur doit une grande part de sa beauté à la fois farouche et solennelle.
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Autant son prédécesseur Uh Huh Her était raide et ingrat, autant celui-ci est vallonné et charmeur, malgré une approche pas des plus tranquilles. Drôle de sensation notamment sur l’introductif The Devil, sa cadence martiale et son chant de cristal fêlé, au passage duquel on boit sa honte d’avoir songé un instant à Mylène Farmer. Cet effroi vite réprouvé, Dear Darkness, avec la belle voix de Jim White (Dirty Three), expose plus nettement les arguments sensibles et sensitifs de ce court album (trente-quatre minutes) essentiellement constitué de ballades – attention, pas de promenades.
Magnifié par la production toute en matières explosées de Flood et de l’inamovible John Parish, White Chalk a beau se dispenser d’électricité, son intensité n’en reste pas moins palpable, d’autant que les hésitations du piano en renforcent le caractère indocile. PJ Harvey ne s’est pas subitement transformée en Carole King et son écriture refuse toujours l’orthodoxie en empruntant des déviations personnelles, d’où cette impression de monument chancelant qui accompagne chaque morceau.
Car ce disque, à écouter dans un rapport exclusif, se révèle l’une des expériences les plus monumentales que l’on puisse vivre avec deux oreilles et peu de passion au milieu. Polly la revêche n’a jamais si bien chanté, presque apaisée de ne pas avoir à se saigner les cordes, rappelant au détour d’une intonation ses glorieuses aïeules du folk anglais, les Bridget St. John, Vashti Bunyan ou Ann Briggs. Malgré ce vague écho, et quelques points de rattachement (Kate Bush ?), White Chalk s’avère une œuvre unique d’une fille unique – qui sur l’instant s’élève à des niveaux où personne ne viendra la déloger cette année. Et avant bien longtemps.
Christophe Conte
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