Il n’a fallu que trois albums à Ron Sexsmith pour passer du rôle de jeune premier surdoué à celui de songwriter essentiel. Troisième volet d’une métamorphose aussi méritoire que réjouissante : avec l’étourdissant Whereabouts, un forçat du labeur se découvre flambeur, fuit mansardes et grimoires pour aller toucher le jackpot au Las Vegas des songwriters. […]
Il n’a fallu que trois albums à Ron Sexsmith pour passer du rôle de jeune premier surdoué à celui de songwriter essentiel.
Troisième volet d’une métamorphose aussi méritoire que réjouissante : avec l’étourdissant Whereabouts, un forçat du labeur se découvre flambeur, fuit mansardes et grimoires pour aller toucher le jackpot au Las Vegas des songwriters. Résumé des épisodes précédents : sur le raffiné premier album de Ron Sexsmith, un chérubin cérébral et précautionneux s’astreignait à respecter une kyrielle de règles draconiennes, cabriolait uniquement sur des oeufs de colibri, et ne s’adonnait au trampoline que sur toile d’araignée. Pareille circonspection interdisait les épanchements lyriques qui, dans la meilleure pop, rendent l’émotion massivement contagieuse. Deux ans plus tard, avec Other voices, Ron commençait à s’affranchir de sa pudeur paralysante ; aujourd’hui il donne enfin l’impression d’être aussi libre que les (formidables) airs qu’il compose cet album, son meilleur, est aussi le premier qui, musicalement, soit franchement exubérant. On n’a guère de mérite à trouver la clé de cette mue, livrée dans la septième chanson, The Idiot boy : « Alors lâchez ce gosse dans une confiserie/Laissez-le cavaler jusqu’à l’épuisement. » Fini le régime sec et cérébral. Les coudées franches dans l’opulente échoppe de la pop gourmande, Ron s’offre une méga-razzia sur ses friandises favorites meringue McCartney (le sublime titre d’ouverture, Still time, emprunte son cor anglais à For no one, sans doute la plus belle chanson de Revolver), chocolat amer Lennon (le laconisme d’In a flash, dans la lignée désenchantée du mémorable Pretty little cemetery), berlingots Brian Wilson (l’ermite contemplatif d’In my room plutôt que le surfeur par procuration des années Malibu).
Pour partager ce festin, Ron a généreusement élargi le cercle de ses intimes. Sur Right about now, tirée à quatre épingles, la soul-music chaloupe deux épatants pas de danse ; ailleurs, les Byrds font la roue, ravis de se découvrir un prestigieux plumage symphonique (Beautiful view) ; l’aube venue, une fanfare Nouvelle-Orléans sur les rotules rythme une ronde titubante (One grey morning). Omniprésents, des violons ivres soufflent en rafale, achevant de balayer la retenue dans laquelle le Ron d’antan semblait engoncé, mais n’altérant en rien la pureté d’une écriture encore une fois renversante. L’auteur de ces chansons princières peut à peu près tout se permettre pareille sûreté mélodique (douze titres, douze hits en puissance) a de quoi écoeurer les sourciers les plus chevronnés autant que les laborantins insomniaques traquant la formule du succès planétaire ; une telle élégance de langage découragera force velléités de concurrence. Sous la plume de Ron Sexsmith, l’anglais semble avoir été inventé uniquement pour écrire des refrains voués à harponner l’auditeur dès la première écoute dans une veine poétique indémodable (Riverbed, fastueux songe ophélien) ; de vastes paysages ont pris leurs pénates dans ces chansons d’une modestie trompeuse, à l’intérieur étonnamment spacieux et à l’insidieuse sensualité. Avec ses joues au galbe angélique, Ron Sexsmith a toujours eu un petit air de Cupidon ; son voluptueux Whereabouts n’a pas fini de peindre des cibles sur le coeur des auditeurs.
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