Fiona Apple a beau soigner l’accueil, son intérieur demeure magnifiquement dérangé : grand disque de pop perverse. Pour tenir les promesses de Tidal, l’album de ses imparfaits et néanmoins fracassants débuts il y a trois ans, l’essentiel était avant tout affaire d’association pour Fiona Apple. D’abord pour ne pas avoir à supporter seule le poids […]
Fiona Apple a beau soigner l’accueil, son intérieur demeure magnifiquement dérangé : grand disque de pop perverse.
Pour tenir les promesses de Tidal, l’album de ses imparfaits et néanmoins fracassants débuts il y a trois ans, l’essentiel était avant tout affaire d’association pour Fiona Apple. D’abord pour ne pas avoir à supporter seule le poids d’une succession épineuse (plusieurs millions d’albums vendus, l’obligation d’au moins faire aussi bien), ensuite pour échapper aux pièges qui guettent les oies blanches dans les studios américains infestés par d’avides prédateurs prêts à ne faire de cette pomme encore verte qu’une bouchée. En confiant les clés de son destin artistique au fort fréquentable Jon Brion l’homme dans l’ombre de la plupart des grands albums américains de la décennie, vous pouvez vérifier sur vos pochettes de disques, à commencer par celle de Tidal , elle évite au moins le risque d’alanguir à la manière d’une Tori amorphe ses mélodies piquantes et sa prose hirsute sur du vent instrumental. La personnalité immédiatement palpable de When the pawn…, en dehors de son nom à coucher dehors, tiendra donc avant tout de sa facture musicale, tout en reliefs et en volumes, orchestrée par un Brion jamais aussi brillant que lorsqu’il honore les dames (se rappeler le trop méconnu et splendide second album d’Aimee Mann). Comme Suzanne Vega et son mentor Mitchell Froom, auxquels Paper bag fait irrémédiablement songer, la fusion est ici totale. Même les gros effets pyrotechniques qui embrasent On the bound, le titre qui fracture l’album, n’ont rien de ces caprices de jeunes filles aimant encanailler leur nature de Joconde prude sous des tonnerres de sons en vrille. On n’a pas affaire ici à une hystéro professionnelle du type Alanis Morissette mais assurément à une des plus fortes têtes du rock féminin contemporain, l’une des rares que le confort et les dorures chics d’une carrière MTV indisposent. « Tu veux me rendre malade, tu veux me lécher les plaies (…), tu nourris la bête qui est en moi… » : il existe des mots mieux choisis que ce Limp incandescent pour attirer la clameur des foules, et si on frise souvent ici l’autocollant de pochette Parental advisory (tous ces « fuck » lâchés comme d’insolents missiles et qui risquent de la priver d’airplay, la belle affaire), il n’est jamais question de provocation cheap pour émoustiller les beaufs. Cette fois, on sent qu’elle s’est investie corps et biens dans la chair malpolie des chansons, qu’elle en a imaginé au détail près les parfums capiteux et laissé à son homme de main le soin d’en composer le bouquet, épines comprises. Plus Carole King que Burger King, la musique de Fiona n’est qu’en apparence facile à chanter et rapide à consommer. Elle appartient à une école buissonnière du songwriting américain, qui ne compte en ses rangs que d’anciens fauteurs de troubles illustres, Randy Newman en tête. Des amateurs de guirlandes au piano, comme pour entourer des chardons de mélodies, et dont le sport favori consiste à tromper l’attention de l’auditeur moyen en lui crachant élégamment ses quatre vérités en pleine gueule. Se méfier, donc, de l’apparence pop de ces chansons à tiroirs, dont la plupart renferment des pièges mortels. Si le titre complet (80 mots !) de l’album est le plus long de l’histoire, son contenu risque d’être aussi l’un des plus longs en bouche de l’année qui s’achève. Et le goût qu’il y déposera avec le temps risque autant d’affoler les sens que de provoquer d’inattendus haut-le-coeur.
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