Pour Oasis, c’est quitte ou double : porté par un efficace et futé deuxième album, (What’s the Story) Morning Glory?, le groupe de Noel Gallagher pourrait convaincre le monde entier et devenir le U2 de cette fin de siècle. Ou bien s’écrouler minablement.
L’autre partie du disque, celle qui se balade avec des cocktails Molotov plein les poches, a les défauts du genre : Hello ou le single Roll with it se soucient peu d’entrer au panthéon des harmonies poignantes ? ces chansons sont là pour faire taper du pied et remplissent leur contrat sans pinailler. Sur un rythme plus chaloupé, Hey now n’a d’autre fonction que de mettre en vedette la voix parfaitement adaptée du cadet de la famille – sur ce genre de tempo, il est parfait, moitié bandit moitié bambin. Par contre, sur le morceau Morning glory, tout fout le camp, l’ensemble lourdaud n’étant sauvé du naufrage que par la déclamation répétitive du titre de l’album, inoubliable après la première écoute. Restent encore Some might say – qui a joliment vieilli, malgré son vieux riff pénible- et She’s electric, deux titres qui acceptent difficilement le clivage gros joint contre cocktail Molotov.
Avec ses jolies pointes de psychédélisme coloré, She’s electric crie son amour aux Beatles, par La s et Stone Roses interposés. Ce sera le Digsy’s dinner de Morning glory, et la deuxième meilleure chanson de l’album. Reste enfin à inscrire au tableau d’honneur le très ambitieux Champagne supernova, qui met les petits plats dans les grands et sert de lien entre les morceaux les plus tendres et leurs cousins musclés.
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II y a un argument de poids que le clan Gallagher avancera toujours comme son atout majeur : chez Oasis, on ne perd pas de temps pour les chichis. Les disques s’enregistrent tête baissée, dans une urgence entretenue, Morning glory n’aura ainsi demandé que quinze jours de travail. S’imposent donc à nous les mêmes raisons d’applaudir – l’efficacité imbattable, le sens de la formule et l’intelligence d’un compositeur – et les mêmes raisons de râler – l’absence d’une âme authentique et unique, le détachement de la voix, cette impression que même le groupe, parfois, n’y croit pas. Pourtant, ces musiciens ne jouent pas à l’économie, loin de là. Oasis affiche une mécanique bien huilée, fait gronder son moteur de grosse machine avant d’épater la galerie sur quelques tours de piste en régime lent, le turbo au repos. Ce qui ne fait certes pas de (What’s the story) Morning glory un disque de légende, mais suffira amplement au bonheur de l’auditeur bien luné. Sans doute plus riche que Definitely maybe, (What’s the story) Morning glory est – au moins académiquement – un bien meilleur album.
Seulement moins saisissant, car plus attendu. Mais il creuse aussi un fossé – celui qui sépare le leader de ses troupes. Le deuxième album d’Oasis est un album de « Noel Gallagher avec Oasis », certainement pas une uvre collective. De Liam Gallagher, on n’apprendra strictement rien sur Moming glory -sans doute parce qu’il n’y a plus rien à dire. Il chante, c’est tout – et encore, pas sur tous les titres. On sait par contre depuis quelques jours que le bassiste du groupe, officiellement « épuisé », est parti rejoindre son copain batteur sur les bancs de l’ANPE. Faut-il voir là les premières mesures d’un plan de réaménagement du personnel qui va désormais se consacrer au cas Bonehead, le guitariste un brin nigaud ? Pour l’avenir du groupe, on en arriverait presque à le souhaiter. Pour l’avenir de la démocratie, par contre, ça sent un peu le roussi.
En regardant la vidéo Live by the sea, privés du mur de décibels des concerts, on se dit que le spectacle de ce groupe statique et cruche n’est pas précisément sexy et qu’il faut vraiment être anglaise pour trouver les Gallagher irrésistibles. Peut-on espérer un ravalement prochain ? « Quelques trucs vont changer en concert : peut-être l’addition d’un clavier pour reproduire les cordes sur Whatever et quelques chansons. Mais pas de grande révolution ? d’ailleurs, comment cela serait-il possible ? » Autre facteur d’inquiétude : les signes d’une colère croissante à l’encontre du label Création, que Noel a noté sous une pluie d’injures après la défaite (commerciale) du match Oasis-Blur, le 14 août dernier – jour de la sortie combinée des 45t Roll with it et Country house. « Je n’avais encore jamais gueulé contre eux, mais là, ils ont vraiment déconné ! C’est moi qui suis supposé mener une vie chaotique, pas eux ! »
Reste à dire trois mots sur les drogues, même si le groupe prétend les gérer avec sagesse. Dans un moment d’abandon, Noel Gallagher aurait confié à la journaliste de I’Observer avoir désormais besoin d’une ligne de cocaïne toutes les quarante minutes. Ce qui n’est pas forcément un facteur de cohésion pour le groupe. « Vous pouvez me faire confiance : je ne vais pas tout tâcher bêtement. Je sais ce que je fais », répondra-t-il laconiquement lorsqu’on l’interrogera sur la question.
Qu’on le veuille ou non, avec ou sans nous, Oasis est son époque : ici et maintenant – comme peu de groupes en leur temps, les Pistols en 76 ou les Smiths en 85, pour ne citer que les plus fulgurants. Et si Oasis agace, malgré les disques, malgré les chansons, c’est ailleurs qu’il faut aller chercher les raisons du malaise, certainement pas chez Noel Gallagher, cet homme simple et sincère. Le grand malheur d’Oasis, c’est que tous ces « grands professionnels » dont le travail gravite autour du groupe – production, management, promotion et, par effet d’écho, la presse en ont trop fait. Mais alors vraiment trop. Aujourd’hui, à l’heure d’un deuxième album futé (à défaut d’être génial), on voudrait encore faire payer à Oasis la gouaille godiche de ceux dont le métier est de vendre des disques, ceux qui ont commis une erreur bête comme chou : vouloir nous faire avaler qu’Oasis était le meilleur groupe du monde. Ce qu’il n’est évidemment pas. Ou alors pas encore.
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