Pour Oasis, c’est quitte ou double : porté par un efficace et futé deuxième album, (What’s the Story) Morning Glory?, le groupe de Noel Gallagher pourrait convaincre le monde entier et devenir le U2 de cette fin de siècle. Ou bien s’écrouler minablement.
Quand rendra-t-on enfin justice à l’humour d’Oasis ou, plus précisément, à l’humour de Noel Gallagher ? Pour expliquer quelques écarts de langage crâneurs et deux ou trois riffs de potache, on fera appel à un terme anglais, le savoureux « tongue in cheek », mélange d’humour malin et moqueur, alliant dérision et finesse d’esprit. De ce tongue in cheek malheureusement trop rarement rencontré sur nos rivages, Noel a fait sa splendide spécialité – ce que les Anglais comprennent, ce que les Français prennent à tort pour de l’arrogance crétine. Non, Noel Gallagher ne se prend ni pour John Lennon ni pour Marc Bolan : il est plutôt humble, simple et comique. Ni sexiste ni rustaud, plutôt tendre et malin. Noel affiche aussi une foi et une authenticité qui feraient pâlir de honte bien des rebelles en pantalon de cuir Kenzo. Issu d’un quartier populo d’une ville du nord de l’Angleterre, comme Lennon en son temps, il est devenu aujourd’hui un « working class hero », un symbole de réussite. Comme Lennon en son temps, il risque aussi de se perdre en route, d’oublier ses racines. « Franchement, je ne crois pas. La gloire ne m’est pas tombée dessus à 18 ans. J’ai 28 ans :j’ai vécu avant Oasis, je sais ce que c’est que de vivre avec 30 livres sterling par semaine. Alors, la tête qui enfle, je laisse ça aux autres. »
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En deux ans, Noel Gallager est devenu copain avec tous ses héros, les demi-dieux affichés en poster au-dessus de son lit d’adolescent banal. Paul Weller, Johnny Marr, Paul McCartney sont tous des amis de la famille. « C’est Weller dont je me sens aujourd’hui le plus proche. L’autre jour, il m a dit que je pourrais toujours compter sur lui, qu’il serait toujours là près de moi, même lorsque Oasis aura disparu et que plus personne ne voudra entendre parler de moi. Parce qu’il sait ce que c’est , Paul, de se retrouver en bas de l’échelle. J’ai été très touché par ses mots. » Autre fan, autre (re) connaissance : Tony Blair, le leader de l’opposition socialiste, qui lui aurait même avoué écouter Definitely maybe dans sa voiture tous les matins.
En 95, Noel Gallagher est donc un homme comblé, reconnu et célébré. Ceci acquis, aura-t-il encore la force de se battre ? « Lire mon nom sur les disques, sous les titres des chansons, entre les parenthèses : voilà ce qui me procure le plus déplaisir aujourd’hui. Rencontrer des gens célèbres, être admis dans leur cercle, c’est très bien, mais je ne vis pas pour ça. La joie de voir mon nom sur les disques, elle, ne s’éteindra jamais. »
On lui fait alors remarquer qu’il gère le succès d’Oasis sans signe extérieur de sagesse ou de calcul, alignant 45t sur 45t, comme pour jouir de chaque minute de gloire. Un peu comme ces gens qui gagnent à la loterie nationale et claquent tout leur argent en quelques semaines, pour être sûrs de ne pas se le faire voler. « Il y a beaucoup de vrai là-dedans. C’est probablement parce que je viens d’un milieu prolo et qu’on ma toujours dit que la vie serait dure, qu’il faudrait bosser dur pour y arriver. Alors aujourd’hui, je veux vivre la musique pleinement, aller au bout des choses. Je ne me pose pas de questions mutiles sur l’avenir. A quoi bon gérer ? II faut vivre, donner autant de concerts que possible, enregistrer des dizaines de disques, utiliser des faces B pour expérimenter un peu plus. Moi, j’en profiterai aussi longtemps que l’inspiration sera là – et je suis sur un petit nuage en ce moment. Par ailleurs, je m’ennuie très vite, et la musique est le meilleur antidote que j’ai trouvé pour combattre l’ennui. Me reposer ? On verra ça plus tard. Ce vieux cliché- Oasis, groupe de connards de Manchester qui pompe l’héritage -commence à m’agacer. Le manque d’objectivité m’énerve vraiment. Que des gens puissent nous juger a priori me blesse et me navre. En plus, ils ne savent pas ce qu’ils ratent, ces cons. Je n’arrive pas à m’y habituer. »
S’il y a visite au musée du rock, c’est en élève appliqué, gonflé de respect, que Noel Gallagher s’y rend. Certainement pas en voyou chapardeur. John Powers, ancien bassiste des La s devenu guitariste et chanteur de Cast, reprend à son compte une des thèses les plus intelligentes à ce sujet : « Le rock n’est ni vieux ni jeune. Il n’est pas usé ou en voie de disparition. Il est, tout simplement. Il naît, renaît, se reproduit en permanence. Tous les musiciens ont inventé le rock un jour dans leur vie, persuadés d’être les premiers. Quand un gamin de 15 ans prend une guitare pour la première fois, il découvre le rock. Pour lui, le rock naît ce jour-là. Peu importe que Chuck Berry ait joué les mêmes accords des dizaines d’années plus tôt. »
Frère d’âme de l’ancien La’s, Noel Gallagher a récemment embarqué Cast en première partie d’une tournée anglaise d’Oasis. Avant de lui annoncer que l’expérience ne serait pas renouvelée « parce qu’ils sont vraiment trop forts sur scène : ils nous ferait de l’ombre ». La musique d’Oasis est nostalgique et révérencieuse : c’est là sa raison d’être. Loin de cacher son obsession pour les Beatles – sur ce nouvel album, le Wonderwall chipé chez George Harrison et quelques envolées de guitare dont on retrace facilement la paternité -, Noel Gallagher la revendique haut et fort, allant même jusqu’à élever son amour du rock au rang de « principale source d’inspiration ».
Et le compositeur d’Oasis fait un très digne héritie : qui peut soutenir que Live forever, Whatever et le nouveau trésor Don’t look back in anger ne sont pas de redoutables réussites d’écriture rock – mélodies crâneuses, aplomb, puissance – de formidables hommages à cet amour incestueux qu’entretient Gallagher avec les monstres d’hier Les mêmes notes, les mêmes mots repris par un jeune groupe sans casserole à tramer feraient hurler de bonheur les cyniques les plus éteints.
On admire le rock d’Oasis pour sa robustesse et, pourtant, on aimerait bien le voir se fissurer. La contradiction explique sans doute l’énorme intérêt que suscite un peu partout la sortie de ce nouvel album : il y a un plaisir trouble, un peu voyeur, à observer ce groupe se battre entre ses deux natures – la première, bagarreuse, incarnée par Liam, et la seconde, franchement romantique, figurée par Noel. Entre les muscles et le coeur, Oasis hésite encore, s’en tirant jusqu’à ce jour par d’instables équilibres, des alliages plus ou moins hasardeux – comme sur le superbe Live forever, leur meilleure chanson à ce jour.
On aimerait assez voir la maison Oasis ouvrir grand ses portes et ses fenêtres, que Noel Gallagher cesse de tout contrôler comme si sa vie en dépendait. Que quelques accidents surviennent. Que la musique d’Oasis surprenne, enfin. Dans le quotidien anglais The Observer, Noel décrit (What’s the story) Morning glory ? comme un album « en deux parties: la première est profondément enfoncée dans un hamac avec un gros joint dans le bec, la seconde se balade dans une rue avec un cocktail Molotov à la main ». La moitié du disque qui tire sur son joint- de loin la meilleure – compte plusieurs vrais joyaux, dont Don’t look back in anger, le chef-d’oeuvre de l’album chanté par Noel. « J’avais décidé de chanter moi-même une de mes deux chansons préférées, celle-là ou Wonderwall. J’ai dit à Liam que s’il voulait, je chanterais Wonderwall un peu plus acoustique, mais il a refusé. Alors j’ai gardé Don’t look back in anger et, maintenant, il me tire la tronche. »
A un récent concert, pour la première en public du morceau, Liam a tout simplement quitté la scène. Et la sortie du titre en 45t pour la fin de l’année a peu de chance de faire retomber sa colère. Derrière Wonderwall, superbe ballade laissée à Liam (impeccable), Cast no shadow profite d’une souplesse rythmique dont l’ancien batteur – viré – était incapable. On applaudira aussi les enchevêtrements vocaux sur le refrain, d’autant plus remarquables qu’ils tranchent sèchement avec un couplet un peu chiche.
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