En impliquant des adolescents et leur collège dans son programme Jeune Public, le Châtelet relève le défi : les sensibiliser au lyrique.
Non content d’offrir la programmation lyrique la plus originale de la capitale, le Châtelet, concurrent naturel de l’Opéra Bastille sans bénéficier de ses moyens, est parvenu en l’espace de quelques mois à rattraper une partie de son retard sur la « Grande Boutique ». Depuis longtemps, le département Jeune Public de la Bastille programme des spectacles d’éveil de qualité et associe aux autres productions des classes de jeunes en difficulté. Au Châtelet, l’équipe chargée depuis le début de la saison de relever ce défi se réduit à une personne et demie. Faire ingurgiter l’invraisemblance lyrique à des ados est loin d’être évident, et la sensibilisation musicale passe par un encadrement vivant. « Le public était trop snob », déplore une élève dans son carnet de bord après avoir assisté à un opéra de Gluck bien décanté par Robert Wilson. Bon, d’accord, mais comment progresser ? C’est au gré des répétitions et des rencontres impromptues avec les chanteurs que va se nouer un contact profond ; le reste suivra. Le collège sélectionné pour travailler sur Mithridate de Mozart et qui participe à West Side story a beau être classé en ZEP, ses cobayes font presque figure d’élèves modèles, déjà coachés par des enseignants ultra-motivés.
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En plein Chinatown, une chape de béton enserre le collège Camille-Claudel, écrasé par les immenses tours qui étalent au grand jour l’intimité de leurs occupants. La classe de 3e à dominante asiatique décortique depuis six mois un opéra que Mozart a écrit à 14 ans et que montent Christophe Rousset et Jean-Pierre Vincent. Le chemin conduisant vers la connaissance est émaillé de surprises. Un spectacle chassant l’autre, les profs venus s’informer se retrouvent sur scène et croisent le sinistre Pierre Strosser dont les échafaudages ayant servi de décors à son Doktor Faust sont malencontreusement associés aux travaux de réfection de la scène, pourtant terminés. Jean-Pierre Vincent balaie heureusement la grisaille et l’inutile : « Quel lien établissez-vous entre la pièce originale et le livret ? », se croit-on obligé de lui demander. « Madame, je m’en fous. » Rassurés à leur tour par ce parler vrai, les élèves exécutent divers travaux, visitent les ateliers de costume et réalisent leurs maquettes.
Mais l’échange le plus magique s’accomplit au dernier étage du théâtre, devant un directeur médusé. Avant de chanter aux élèves un air traditionnel, la soprano Jia-Lin Zhang, d’origine chinoise (pur hasard !), se prête au jeu sans s’économiser ou faire la diva. Elle leur balance l’air principal de l’opéra sur l’accompagnement de flûtes à bec qu’ils ont préparé. Impeccable ; où sont passées les cacophonies d’antan ? L’inusable prof de musique du collège est dans tous ses états, exhale des soupirs de trac et d’excitation mêlés, au point de faire rapidement tomber la veste ; on se croirait dans Cosi fan tutte. Dopés eux aussi, les collégiens sont même allés briefer leurs benjamins de l’école primaire Franc-Nohain. Retour à Camille-Claudel où on prépare West Side story qui sera donné en version semi-scénique par quatre cent cinquante ados parisiens. Les couloirs vibrent de ses tubes inusables, comme les salles du château de Moulinsart résonnent des vocalises de la Castafiore. Mais là, pas de pensum. Le Châtelet a encore accouché d’une saison originale, mais ce qu’il a lancé en matière d’éveil musical est encore plus fondamental.
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