Les gospels de MAVIS STAPLES vibrent toujours de la même fièvre pour le respect des droits des Noirs. l’ex-chanteuse des Staples Singers est cette semaine en concert à Banlieues Bleues.
We’ll Never Turn back. Rien n’éclaire mieux la complicité entre musique gospel et Mouvement des droits civiques que le titre du dernier album de Mavis Staples : “Nous ne reviendrons jamais en arrière.” En ressort l’idée d’un progrès collectif sur un chemin pavé de tragédies et de victoires ; l’idée d’un rêve aussi, formulé par le révérend Martin Luther King. Faute d’avoir été exaucé, il semblerait que ce rêve en un monde meilleur ait quand même pris un léger avantage sur son adversaire, le cauchemar raciste, dans le bras de fer qui oppose ces deux visions depuis la nuit des temps esclavagistes.
En effet, les chansons de We’ll Never Turn back nous parlent d’un temps où il était interdit aux Noirs de marcher sur le même trottoir que les Blancs dans les rues de l’Alabama ou du Mississippi. Où le droit de vote comme l’accès aux mêmes soins ou aux mêmes écoles faisaient l’objet de combats, et pas seulement parlementaires. C’est ce défi que releva le Mouvement des droits civiques. Et les chansons de ce disque, décisives en leurs temps, en raniment aujourd’hui l’esprit plus qu’elles ne le commémorent. Or nous sommes en 2008 ; en novembre, un président noir pourrait franchir le seuil de la Maison Blanche et ce pas-là, petit pour l’homme mais grand pour l’humanité au plan historique et symbolique, interdirait effectivement tout retour en arrière.
La plupart des chansons de cet album ont été instrumentalisées, comme le fut l’ensemble du nouveau gospel que jouaient des groupes électriques, dont les Staples Singers. Comme le raconte Mavis Staples, tout s’est décidé un fameux dimanche de 1962 alors que la fratrie, un frère et trois sœurs, emmenée par le père, Roebock “Pop” Staples, profite d’un passage à Montgomery dans l’Alabama pour assister au prêche d’un jeune pasteur, Martin Luther King. “Mon père l’avait entendu à la radio. Il avait été touché par son message et voulait absolument le rencontrer. La famille avait commencé à chanter en 1949 à Chicago dans l’église de ma tante. A partir de cette rencontre, notre témoignage ne fut plus seulement religieux mais clairement politique aussi. En 1962, le Mouvement des droits civiques en était à ses balbutiements et moi j’avais 22 ans dont 14 de carrière.” Aujourd’hui, elle en a 68, passés pour l’essentiel à porter la gospel-soul sur les fonds baptismaux du label Stax dans les années 70, à enregistrer pour Prince à Paisley Park dans les eighties, avant de rejoindre sur scène, ou en studio, des fans tels que Bob Dylan, Aaron Neville ou Natalie Merchant.
C’est un autre fan, Ry Cooder, qui avec le label new-yorkais Anti est à l’initiative de cet album produit par ses soins. Ry Cooder, qui a vu les Staples dans un club folk de Santa Monica alors qu’il était lycéen, souligne que son but était de “faire entendre les mots de l’époque avec l’émotion de l’époque”. “J’avais établi une liste des interprètes de gospels originaux, sauf qu’ils sont aujourd’hui tous morts. Mavis est la dernière. La dernière qui fasse le lien avec la source.” Pour la chanteuse, c’est en effet un retour à la source, clairement symbolisé par la présence des eaux du fleuve-mère dans deux chansons, Down in Mississippi du bluesman J.B. Lenoir et In the Mississippi River. “Le Mississippi demeure le lieu fondateur
de la communauté noire aux Etats-Unis, rappelle Mavis. C’est l’axe de notre musique. C’est dans ses eaux que j’ai été baptisée. Mais c’est aussi là qu’ont été noyés les militants dont parle In the Mississipi River, chanté alors par les Freedom Singers.” Freedom Singers que l’on retrouve ici avec la chorale sud-africaine Ladysmith Black Mambazo. Comme on retrouve avec délectation le bottleneck de Cooder, essence d’un monde, encre sonore d’une poésie d’errance et de mystère.
Quant au contenu spirituel de ces chansons, à la force d’élévation qu’elles inspirent, il faut croire qu’il agit toujours autant. D’après Cooder, ça lui a même sauvé la vie. “J’ai fait une crise cardiaque, l’autre jour. Mais, Dieu merci, ce qu’il reste du métier du disque nous permet d’enregistrer encore ce genre d’album. Et avoir fait celui-ci avec Mavis fut d’un grand secours.”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}