Loin des majors et des platines de ses débuts, Rubin Steiner revient aux affaires
en grand indépendant, avec un album très guitare et taillé pour la scène.
Certains sont de plus en plus copains avec la technologie au fur et à mesure que le temps passe, et d’autres, à l’inverse, s’en détachent avec les années. Sans avoir la prétention de savoir qui a raison, on vous dira simplement que Rubin Steiner, de son vrai nom Fred Landier, fait aujourd’hui très clairement partie de la seconde catégorie. On avait bien senti le coup venir avec son précédent album, Drum Major!, où, sans aller jusqu’à se passer totalement de la compagnie de ses drôles de machines (sampleur en tête), le gars Rubin nous avait avoué que la guitare le démangeait très sérieusement.
Et pour son tout dernier, réalisé pour le compte de l’excellent label indépendant bordelais Platinum, et qui répond au titre à rallonge qui suit : Weird Hits, Two Covers & a Love Song – comprenez “Des tubes bizarres, deux reprises et une chanson d’amour”, et tiens, pourquoi pas une demi-livre de moules ? –, la boucle semble carrément débouclée. Au profit d’une sainte Trinité guitare/basse/batterie exploitée à son maximum avec le groupe que Rubin Steiner avait formé pour la tournée de Drum Major! (le fameux Neue Band).
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Le disque démarre avec un morceau noisy et post-rock (le très beau Friend’s Noise), mais c’est avec Another Record Story qu’on rentre vraiment dans le vif du sujet. Véritable petite bombinette, trait d’union entre un hypothétique extrait du troisième Franz Ferdinand que l’on nous annonce très dégourdi de la gambette et les récents coups de génie de MGMT, ce morceau – certainement le meilleur jamais écrit par Fred Landier – propulse bim bam dans l’ambiance de ce nouvel album très réussi. Il y a aussi ce titre du milieu qui interroge avec beaucoup de sensibilité et un peu de désespoir – après deux mirabelles et une poire – la notion de hit et de non-hit (le bien nommé A Hit, reprise de l’un des morceaux les plus masturbatoires du génie Bill Callahan de Smog, où il est question de Bowie, Eno et Gary Numan, vous verrez).
On est bien dans cet univers ami où l’on sait faire danser avec des guitares : un peu comme chez James Chance, Cabaret Voltaire ou même un peu My Bloody Valentine (pour les plus neurasthéniques d’entre nous, qui ont appris à danser en camisole de force). Un univers qu’adore Landier, rencontré pour une fois loin de son fief tourangeau. L’air plutôt détendu, il évoque son travail avec ce qui ressemble à une nouvelle force. “La musique qui fait danser et les guitares, c’est mon truc, depuis le début. Pour moi, les deux ont toujours été une évidence. Je crois qu’aujourd’hui j’arrive à les faire s’imbriquer comme je l’ai toujours souhaité.” Et les deux sont effectivement copains comme cochons sur ce nouveau Rubin Steiner, dont certains morceaux atteignent une sorte de mininirvana du genre. On pense à Can You, à For Sloy (hommage à ce grand groupe rennais jadis produit par Steve Albini), mais aussi et surtout à Kiss Richards, dont la folie contenue et la rigueur quasi martiale font illico penser à l’un des meilleurs groupes français du moment, Poni Hoax.
Comme Rubin Steiner, les Parisiens ont choisi de trimballer des guitares parfois maussades un peu partout sur le dance-floor, dans une sorte de pénombre inquiétante mais traversée ça et là par une lumière blanche et stroboscopique. A tel point que l’on n’a qu’une envie, à l’écoute de ce Weird Hits, Two Covers & a Love Song, c’est de le découvrir le plus vite possible sur scène, où Rubin Steiner n’a de cesse de vouloir le traîner. “La tournée du dernier album a été pour moi une vraie révélation. Jamais je n’avais pris autant de plaisir à jouer de la guitare sur scène. A tel point qu’entre les concerts je n’avais qu’une seule obsession : écrire de nouvelles chansons pour les jouer sur scène avec mon groupe.”
Il y a la voix aussi, celle que Landier cachait quasi systématiquement derrière des vocodeurs ou autres effets. Sur ce nouvel album, il la mettrait presque devant, comme sur cette reprise hypnotique du Warm Leatherette de The Normal (le groupe de Daniel Miller, fondateur du mythique label Mute, car comme tout album de Rubin Steiner, celui-ci est un hommage à toute la musique qu’aime Landier, qui on le sait vient d’un peu partout) et beaucoup d’autres morceaux. “J’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à chanter sur ce disque et j’espère que ça s’entend. J’avais un problème avec ma voix depuis le début et là, j’ai eu un déclic. C’est la première fois que je me considérais comme un chanteur, que je me sentais à ma place devant le micro”, explique Landier avec son sourire plein d’intégrité. Un vrai bonheur pour les oreilles, dont on ne se privera que sur 1974, morceau instrumental que l’on aimerait sans fin et d’où la guitare, véritable héroïne de cet album, sort à la fois ivre et triomphante, dans les bras généreux de l’un des musiciens français les plus passionnés qui soient. Longue vie à lui.
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