Le groupe Jack The Ripper se réinvente avec The Titzcarraldo Sessions. Du folk dantesque, poussiéreux et mortuaire interprété par des invités comme Dominique A ou Stuart Staples.
Un énorme gâchis. C’est le sentiment qui accable les membres de Jack The Ripper lorsque leur chanteur Arnaud leur annonce, il y a deux ans, sa volonté de quitter l’aventure. Formé en banlieue parisienne par deux frères et leurs cousins, le groupe emprunte une veine littéraire, dark et vénéneuse, dans la lignée d’un Nick Cave. Un premier album, The Book of Lies, sort en 2001. Les débuts sont assez confidentiels : le groupe chante en anglais, ce qui équivaut commercialement parlant, pour un groupe français du milieu des années 90, à se tirer une balle dans le pied.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“On a vraiment senti les espaces radio se fermer”, se souvient le guitariste, Hervé. C’est sur scène, à force de tournées, que le groupe commence à trouver un véritable écho. “Nous commencions vraiment à décoller avec Ladies First, notre troisième album. Un Olympia était prévu, le label nous faisait confiance. Il a donc été difficile et frustrant de voir tout s’écrouler à ce moment- là avec le départ d’Arnaud.” Plutôt que de ranger les guitares ou de se risquer à la greffe incertaine d’un nouveau chanteur, les membres restants décident de voir en grand. “On a eu l’idée de réunir tous les gens avec lesquels on avait envie de jouer, de se laisser aller à un rêve de gosse. Il y avait aussi l’envie d’ouvrir les portes : on avait une histoire de groupe très autarcique. C’était peutêtre le moment de prendre des risques, d’aller au contact”, se rappelle Hervé.
Le contact opère. Très vite, le groupe reçoit des réponses positives de la part de musiciens qui font partie de son univers immédiat, tels que Syd Matters ou Moriarty, mais également de la part de “gens dont on se sentait proches artistiquement, mais que l’on n’osait pas forcément approcher” : Dominique A, Stuart Staples de Tindersticks, Phoebe Killdeer, Joey Burns de Calexico, Abel Hernandez de Migala, Blaine Reininger (Tuxedomoon) ou encore Craig Walker (Archive) répondent présents. Fomenté pendant plus de deux ans, le nouveau projet emprunte son nom au film le plus barré d’Herzog, Fitzcarraldo : l’histoire d’un excentrique qui tente de construire un opéra au milieu de la jungle amazonienne, avec Klaus Kinski dans le rôle-titre.
“Ce titre portait l’idée d’un fantasme, qui peut advenir ou ne pas advenir. On trouvait que ça collait bien. L’enregistrement de cet album s’est apparenté à une odyssée. On se demandait sans cesse si l’on parviendrait à l’achever”, commente Hervé. Difficile en effet de faire coïncider les emplois du temps du groupe et des onze intervenants invités sur quelques jours de studio. Quelques sessions sont organisées à Bruxelles sous la houlette du producteur Stephan Kraemer (Yann Tiersen, Valérie Leulliot, etc.), d’autres se déroulent via internet.
Ian Caple, qui a travaillé notamment avec Bashung sur Fantaisie militaire, assure ensuite le mixage en Angleterre. Le disque semble sorti indemne de ce parcours du combattant : une cohérence se dégage de ces onze titres enregistrés en Cinémascope, entre folk vrillé, desert songs poussiéreuses, murder ballads, ambiances cabaret. Les musiciens de Jack The Ripper signent toutes les parties musicales. Chaque artiste a ensuite écrit les paroles de la chanson qu’il interprète. “C’est une des clés du projet, explique Hervé. Si on leur avait imposé trop de choses, ça n’aurait pas fonctionné. Là, ils avaient du champ pour s’approprier les morceaux, décider du thème, des mélodies de voix.”
Riche de ces métissages, hybridations, identités internationales, le groupe a déconstruit ses habitudes et élevé d’un coup son niveau de jeu. “Ces sessions nous ont fait bouger. On a été obligé de se confronter à d’autres manières de fonctionner. Avec les Moriarty, qui sont plus nombreux que nous, ça a été très fort : ils nous ont demandé d’enregistrer tous en même temps, en live”, explique Thierry, le bassiste.
Des onze titres enregistrés, tous de haute tenue, deux se dégagent du lot : Les Méfiants, ballade crépusculaire tire-larmes transcendée par Stuart Staples, et L’Instable, chanté par Dominique A. Un morceau tendu comme un arc, qui progresse sans refrain, à l’infini. Le premier titre de Jack The Ripper chanté en français. “C’était plus naturel pour Dominique. Les premières écoutes, ça nous a fait vraiment bizarre d’entendre du français sur notre musique. Mais le titre était très beau.” Reste à savoir si un volume deux verra le jour.
A la manière de Radiohead, qui a dit vouloir abandonner la forme album et se concentrer sur des chansons éparses, le groupe envisage de sortir des titres sur le net dès qu’il les aura enregistrés. “Ça peut être très libre, conclut Hervé. Je pense que c’est une bonne façon de poursuivre un projet tel que Fitzcarraldo : au coup par coup, sans se fixer de règles précises.” Une très bonne résolution pour 2010.
{"type":"Banniere-Basse"}