Tempête dans un verre d’eau de la Mersey : le groupe pop le plus épatant de l’été, Wave Maachines, vient de Liverpool et pourrait être une poule aux oeufs d’or.
Il y a quelques mois, c’était le Poney. L’accessoire de mode indispensable pour réussir sa vie sur MySpace. Poney : le petit gadget patronymique qui rendait chèvre. Rien qu’en France : Pony Pony Run Run, Poney Express ou Poney Poney. Depuis, les poneys, on les trouve abandonnés sur le bord des routes : un animal domestique, ce n’est pourtant pas juste pour Noël. Ainsi, Poney Poney, précurseur de ce genre hippique à coupes hippies, vient de changer de nom, peut-être trop bourrin, en tout cas de moins en moins pur-sang, pour se rebaptiser Jamaica – tout en ne jouant aucunement du reggae. Voici qui devrait affoler la blogosphère jusqu’à ce que d’autres musiciens ne choisissent de s’engouffrer dans cette veine géographique : on attend avec impatience les pages MySpace de Kirghizistan, Saint-Christophe-et-Niévès ou Les Palaos.
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Aujourd’hui, pour surfer sur la hype, il faut obligatoirement un “Wave” dans son nom de groupe. Nouvelle Vague l’avait bien compris, dès le tournant du millénaire. Comme, en surf, les plus belles vagues basques sont polluées de poseurs, flotteurs et bronzeurs sur planche, le marché du “groupe-en- Wave” est lui aussi en voie de saturation… The Shortwave Set, Airwave, The Wave Room, Rogue Wave, TheWave Band, Waveland, Tree Wave, Wavves, TheWave Pictures (adorables, comme si Jonathan Richman avait finalement concrétisé son fantasme de chanter avec le Velvet Underground) : ce n’est plus une vaguelette, mais un tsunami.
C’est logiquement blotti au creux d’une de ces vagues qu’on a passé l’été : dans les remous agités et chatouilleurs de Wave Machines. Un groupe d’hurluberlus anglais qui réussit l’exploit de la double vague, l’effet Kiss Cool : “Wave” dans le patronyme et dans le titre de son album. Une merveille au long cours qui est partie en guerre ouverte contre le vague à l’âme : Wave If You’re Really There. Un premier album aux allures insolentes de best-of, compilation de mille intentions, propositions et diversions, jamais crâneuses, vaines ou stériles : strictement au service de chansons dont on sent bien qu’elles tiendraient encore fièrement debout débarrassées de leurs prodigieux et insolites arrangements, délivrées de leur amusante cuirasse pour n’être jouées qu’à la guitare sèche, voire au kazoo.
Keep the Lights on – de très loin la meilleure chanson, suave, sexy et canaille, des Scissor Sisters depuis Laura ou Comfortably Numb – ou l’obsédant The Greatest Escape We Ever Made permettent à Liverpool, c’est la moindre des politesses, de reprendre la main sur une pure pop acidulée, douce-amère, érudite et pourtant cancre. Et encore : on ne parle pas, par décence pour tous les laborieux psychédéliciens à petits bras, des flamboyants Carry Me back to My Home, Dead Houses ou Punk Spirit, morceaux anonymes et humbles de l’album que tant d’autres brandiraient, grisés par telle audace, comme singles.
Venu de Brooklyn ou, mieux encore, de Los Angeles, nouvelle Mecque de l’indie-pop de traviole, Wave Machines serait déjà de toutes les conversations mondaines, affublé du titre désormais couru, dérisoire et péteux, de “MGMT du mois”. On appellerait à la rescousse l’élégance cosmique des Flaming Lips, la démesure d’Of Montreal, l’excentricité de XTC ou les facéties de Hot Chip pour tenter de délimiter le vaste terrain de jeu de ces quatre garçons masqués qui, assis sur un tas d’or, se contentent de jouer à sautemouton dans les nuages. Pourtant, malgré le soutien de poids de Kanye West ou même de la BBC, c’est comme si Wave Machines n’existait pas, comme si ces voix savamment et drôlement entremêlées pissaient dans un violon, en plein désert.
En cette époque où les blogs ont érigé la recherche de jeunes talents en pêche industrielle et suicidaire – combien de groupes exposés trop vite, n’ayant guère plus à offrir que les deux chansons de leur My- Space, se sont vus propulsés sauveurs de l’indie-rock, avant d’exploser au décollage ? –, on peut même s’étonner qu’un groupe puisse à ce point passer entre les mailles du filet. Heureuse Liverpool donc, désertée par la hype et ses petits commerçants de l’éphémère : débarrassée de ces parasites, la ville a réussi depuis quelques années à totalement renouveler, loin des yeux avides de l’industrie, sa légendaire créativité en matière de pop indocile.
Pas étonnant que sur leurs photos les quatre garçons de Wave Machines affichent des yeux de taupe : on imagine le temps qu’ils ont dû passer dans leur cave, calfeutrés loin des modes et de leurs décideurs, pour affiner à ce point un son, bâtir à la main un univers fichtrement personnel, audacieux, absurde, qui fait d’eux une jolie ville-étape entre Allemagne (The Notwist) et Californie (The Postal Service). Un univers offert clés en main, parfaitement formé, avec ses murs aussi solides que biscornus, gourmands en angles morts et trompe l’oeil. “You say the stupidest things”, ricane leur chanson : on est effectivement un peu à court de mots, mais on ne pouvait pas garder pour soi ce torride amour d’été.
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