Un site Web, un magazine, une expo et des affiches de rue. Pendant tout l’été, l’artiste Wang Du s’offre un vaste plan média dans toute la ville de Lyon. Une arme de combat pour un regard virulent sur le monde de l’information. Bataille médiatique.
Wang Du Magazine, Wang Du Online, Wang Du Exposition : en juin, cet artiste d’origine chinoise devient l’un des groupes de presse les plus importants de l’art contemporain. Ça aurait pu s’appeler « L’Expansion » : lancement simultané d’un site Web, d’une expo perso au Rectangle à Lyon et d’un catalogue en forme de news magazine, le tout soutenu par une féroce campagne d’affichage à travers la ville, sur les panneaux Decaux et les colonnes Morris, plus de 500 apparitions de Wang Du en soldat chinois, le casque sur la tête. Aux yeux de Pierre Bal-Blanc, critique d’art et fondateur du label Design Mental qui collabore avec Wang Du au lancement de cette triple opération de com’, l’apparition de l’artiste en couverture de son magazine et sur les affiches de rues est d’ailleurs la suite logique de plusieurs performances où l’on pouvait voir Wang Du se promener au milieu de ses propres installations en tenue militaire. « Mais ici, avec cette logique de communication, Wang Du opère hors de la sphère artistique, et transfère le genre de la performance dans l’espace médiatique. » Version anti-Mao du culte de la personnalité, cet autoportrait militaire s’accompagne, plan média oblige, d’un slogan à valeur d’ultimatum : « Je veux être un média. » Autrement dit, à 44 ans, le soldat Wang Du se lance à son tour dans la bataille médiatique à laquelle se livrent aujourd’hui les agences de pub, les télés, les journaux ou les sites Web pour « couvrir » le réel, c’est-à-dire pour l’informer, le falsifier, le remplacer.
Arrêts sur image : une bombe sexuelle, Yasser Arafat, Jospin en voiture officielle, des soldats en armes, des filles longilignes sorties d’une pub pour les collants Dim, un Chinois voleur d’ordinateurs… Dans le déferlement incessant des images, Wang Du en fixe quelques-unes, choisies dans la presse, sur Internet ou dans les publicités qui inondent quotidien-nement sa boîte aux lettres. Puis il en fait des sculptures en plâtre, grandes et massives, peintes à la gouache, donnant du volume et du poids à ces clichés fugaces emportés dans le flux médiatique. Assemblées dans l’espace les unes à côté des autres, sur un sol souvent jonché de pubs volatiles, de pages de magazines d’où elles sont extraites, ces sculptures-images décuplent la violence et l’impact du discours médiatique.
Pour l’heure, dans l’ancienne usine métallurgique qui lui sert d’atelier, à Alfortville dans la banlieue parisienne, Wang Du et sa dizaine d’assistants préparent activement une nouvelle série de travaux pour l’expo du Rectangle à Lyon : cette fois, au lieu de recycler des images déjà parues, l’artiste s’installe au bout de la chaîne de l’information et réalise des sculptures à partir de papiers froissés, tout prêts à être jetés, qui seront à nouveau disposées dans un espace recouvert de papiers récupérés dans quatre conteneurs publics de la ville de Lyon. La une du Monde est ainsi mise en boule, mais aussi des couvertures de Newsweek ou du Pariscope, une pub pour un site Internet, et même un fax publicitaire. « Pour moi, explique-t-il d’une voix rauque ponctuée d’interjections et de plongées soudaines dans son dico franco-chinois, ces sculptures sont des compressions. Pour chacune d’entre elles, j’ai d’abord fait un modèle, et j’ai froissé à chaque fois environ une trentaine de pages, jusqu’à obtenir une forme intéressante, où l’on retrouve ce geste premier qui fait passer le média à l’état de déchet. »
Wang Du recycle ainsi les images du monde, sans distinction hiérarchique, retraite l’information pour montrer surtout la surproduction intensive des mass media. Son uvre se déploie à partir d’un constat sans appel, mais encore plein d’avenir, prenant acte de la mise en place progressive d’une société mondialisée de l’information : les médias sont devenus la réalité. Ils font aujourd’hui notre paysage. Et tel un peintre, mais en 3D et avec les moyens qui s’imposent, Wang Du ne fait jamais que nous montrer ce nouveau monde qui nous sert de décor.
Evidemment spectaculaires, médiatiques dans l’âme, ultracontemporaines dans leur façon de prendre à bras-le-corps la société de l’information, les installations de Wang Du ont rencontré un succès fulgurant, époustouflant le public de l’art aussi bien à la foire de Bâle qu’à la Biennale de Venise de 1999, dont il fut l’une des grandes révélations. Pour tromper l’inquiétude et garder le cap dans son entreprise artistique, Wang Du s’abrite d’abord derrière une énorme puissance de travail, et profite surtout de cette montée en puissance pour donner plus d’ampleur à son vaste plan média. « Les gens ont parfois l’impression que ce succès est arrivé tout d’un coup, mais il y a eu beaucoup de choses avant, beaucoup de travail en amont. Avant mon arrivée en France, en Chine populaire, j’étais un membre très actif de la scène artistique de Canton, j’enseignais à l’université, et avec des amis artistes, on organisait des performances, des expositions, des lectures, on invitait des philosophes. Moi, j’étais très radical, je pensais qu’il ne fallait pas de création artistique, qu’il y avait suffisamment de choses, que ce n’était pas la peine d’en rajouter. Je suis encore un peu dans cet état d’esprit, parce que mes sculptures ne sont pas des créations pures, je ne les invente pas, je les fais à partir d’images qui existent déjà. Entre 1985 et 1987, on a donc voulu donner aux artistes un espace de liberté, une capacité d’expression. Mais aux yeux des autorités chinoises, j’étais un opposant au régime, et donc j’ai fait un premier passage en prison, puis un deuxième, plus long et plus dur après les événements de Tianan men. » Quand il arrive finalement en France en 1990, Wang Du fait ses premières apparitions dans les médias, dans Libération et Paris-Match, auréolé du statut de dissident, victime du régime chinois. « Mais je ne fais pas de politique » : il se met alors très vite en retrait de ce premier cirque médiatique, se replonge dans son activité artistique, développe une réflexion plus poussée sur la société de l’information. Pour revenir, dix ans plus tard, dans la sphère communicationnelle par le biais de ses sculptures-images, et sous la forme d’une nouvelle humanité : le self-media man.
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Wang Du, Le Rectangle, Lyon, place Bellecour, du 23 juin au 23 septembre, tél. 04.72.41.88.80.