Le trio formé par Thom Yorke, Jonny Greenwood et Tom Skinner redouble d’ambition et surprend en tutoyant les sommets en matière d’ambient paranoïaque.
Il faut savoir se méfier d’un sourire. Celui qui maquille les intentions véritables, le rictus derrière lequel se masque le vrai visage. L’homme à la paupière en berne avait pourtant prévenu : “Nous nous appelons The Smile. Pas le sourire comme dans hahaha, mais plutôt le sourire du mec qui vous ment tous les jours”, déclarait ainsi Thom Yorke en mai 2021 pour introduire, lors d’un concert inaugural filmé sur les terres de Glastonbury sans public (pandémie oblige), cette nouvelle formation héritée des années Covid.
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Monté avec le camarade de Radiohead Jonny Greenwood et la recrue Tom Skinner, batteur débauché chez Sons of Kemet, le supergroupe offrait une parenthèse créative idéale à ses musiciens désireux de se soustraire à toute obligation. Pour les deux principaux échappés de l’illustre quintette d’Abingdon, le motif sous-jacent à cette réunion faisait surtout écho à ce que confiait déjà Thom Yorke aux Inrockuptibles en 2006 pour justifier sa première aventure solitaire sur The Eraser : “J’en ai assez du gigantisme de Radiohead.”
Un tout indivisible et immersif
Telle fut l’idée initiale de The Smile. Retrouver le plaisir de jouer, renouer avec la spontanéité, sortir des tiroirs de vieilles chansons à retravailler, ou simplement composer puis enregistrer en liberté, quitte à produire un premier disque et partir en tournée. Seulement voilà. Moins de deux ans après l’accueil pourtant enthousiaste de A Light for Attracting Attention (2022), les Anglais bouleversent leur ligne de conduite et se révèlent en une entité autonome complexe qui entend bien donner tort à quiconque la réduirait à un ersatz de Radiohead. L’intention première était ailleurs et Wall of Eyes en est l’expression toute désignée.
Conçu sans recourir à l’incontournable producteur Nigel Godrich – fait rare et proche de l’hérésie pour un projet signé Thom Yorke –, ce deuxième album prend le contrepied de son prédécesseur. En seulement huit titres, dont presque aucun ne passe sous la barre des cinq minutes, il s’impose comme un tout indivisible et immersif, dénué de single potentiel. Un sentiment familier de paranoïa et de surréalisme s’installe dès l’ouverture, conforté par les percussions étouffées de Tom Skinner, les guitares syncopées de Greenwood et les sublimes cordes du London Contemporary Orchestra.
La voix de Thom Yorke rayonne au travers d’une production claustrophobique qui vire à l’implosion (Bending Hectic), où s’agglomèrent les influences Kraut de Can (Read the Room, Under Our Pillows), les errances progressives de l’école de Canterbury (Friend of a Friend) ou le psychédélisme des Beatles (Bending Hectic, toujours, et son crescendo façon A Day in the Life croisé avec Penderecki).
À mi-chemin entre Amnesiac (2001) et A Moon Shaped Pool (2016) de Radiohead, Wall of Eyes donne à entendre un gigantisme qui sommeille derrière son mur. À moins qu’il ne s’agisse d’une machination déguisée ou d’un rêve semblable à celui conçu par Dalí pour La Maison du docteur Edwardes (1945) d’Hitchcock, que le cinéaste Paul Thomas Anderson ne manque pas d’évoquer dans le clip du morceau-titre. Ce serait pourtant beaucoup trop simple. Il n’empêche que The Smile a toujours appelé à la vigilance.
Wall of Eyes (XL Recordings/Wagram). Sortie le 26 janvier. En concert à Rock en Seine, Saint-Cloud, le 25 août.
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