Comment concevoir le “disque pop parfait” ? Avec Martin Carr, l’intelligence des Boo Radleys, visite guidée et amusée à l’intérieur de leur nouvel album.D’emblée, avant même de coucher les premières notes de musique sur bande, les Boo Radleys avaient un problème : faire mieux ou au moins aussi bien que Giant steps, leur […]
Comment concevoir le « disque pop parfait » ? Avec Martin Carr, l’intelligence des Boo Radleys, visite guidée et amusée à l’intérieur de leur nouvel album.
D’emblée, avant même de coucher les premières notes de musique sur bande, les Boo Radleys avaient un problème : faire mieux ou au moins aussi bien que Giant steps, leur coup de maître imprévu (album de l’année 93 pour beaucoup), à la fois piédestal et véritable impasse. Massif, le problème de Martin et de sa troupe de pochards : dépasser le « géant », marcher dans ses pas de colosse sans se prendre les pieds dans le tapis. Face à l’écueil, les Boo Radleys ont trouvé une parade habile : changer de territoire, aller voir ailleurs, plus loin, pour éviter les comparaisons douloureuses entre le chef-d’oeuvre et sa descendance. S’éloigner de ce Giant steps devenu gênant, s’exiler, loin des arrangements paillards de I hang suspended, des basses ventrues de Lazarus. Avoir recours à une ruse vieille comme la guerre : le contre-pied. Etre au top de l’innovation en regardant vers hier, telle est la tactique des Boo Radleys nouveaux. Pour répondre, suit ici une dissection ordonnée de Wake up! par son auteur foldingue.
Wake up Boo! « Nous avons enregistré ce morceau une première fois en juin dernier, mais je tenais à tout reprendre à zéro. Avec cette mélodie, j’avais l’impression de tenir quelque chose de très précieux toujours cette idée de perfection qui m’obsède , alors pas question de lâcher prise avant de trouver la bonne formule. Je me souviens qu’en écrivant Wake up Boo!, je voulais faire une chanson à la Take That. L’idée, c’était d’écrire un tube irrésistible, qui donne envie aux gens de se lever et de danser. Je voulais me prouver que j’étais capable d’en écrire un dans ma vie. Aujourd’hui, les gens de notre label Creation sont persuadés que nous allons avoir beaucoup de succès, en particulier grâce à ce morceau. Oasis a montré une voie et tout le monde s’attend à ce que nous les suivions dans les charts. Ça me fout la frousse. » Fairfax scene « Dans cet album nous avons aménagé des zones de repos, comme Fairfax scene. J’écoutais beaucoup Buddy Holly au moment d’écrire cette chanson et je voulais qu’elle ressemble aux siennes. Je ne vois vraiment pas comment nous aurions pu faire un Giant steps 2. A quoi bon ? Il me semblait vital de revenir à une certaine simplicité, à ces chansons pop, mes premières amours. Et si les gens s’attendent à un album plus expérimental,alors tant pis ce sera peut-être pour la prochaine fois. Rien ne serait plus embarrassant que de devenir prévisibles. »
It’s Lulu « Le titre d’une émission de télé que Lulu, la chanteuse, présentait dans les années 60. Le texte ? Une histoire banale d’échec scolaire, sur ce sentiment de ne pas être au bon endroit, de perdre son temps. Evidemment, c’est une chanson autobiographique, mais It’s Lulu, ça a quand même plus de gueule que It’s Martin (rires)… Une fois de plus, j’ai écrit tous les textes de l’album. Sice, notre chanteur, et moi, nous nous connaissons depuis l’âge de 10 ans. Pas de problème d’ego entre nous. »
Joel « Mon morceau préféré de l’album, ce pourrait être une chute de Giant steps, complètement désarticulée, étrange. On croirait un collage de deux ou trois morceaux différents, mais c’est pourtant la structure originale de la chanson même le pont très Beastie Boys au milieu est là depuis le tout début. Les morceaux me viennent souvent comme ça : complexes et tordus. Pourquoi devrais-je me cantonner à un style bien défini ? J’aime mélanger les sons, foutre le bordel dans mes chansons. »
Find the answer within « J’ai presque honte d’avoir écrit ça : la mélodie est tellement prévisible, avec ces trompettes façon Motown ou Stax. C’est moi qui joue du glockenspiel des percussions en bois sur les couplets. Je crois que le texte de cette chanson peut toucher tout le monde : la frustration, le manque de confiance en soi ou le doute sont des maux universels. Après Giant steps, j’ai reçu beaucoup de lettres de fans, des gens qui se trouvaient moches, gros, cons. Je voulais leur répondre avec cette chanson, parce que moi aussi, quand j’étais adolescent, j’ai pris ma plume pour écrire à une pop-star, dans l’espoir naïf de trouver du réconfort. J’ai écrit une très longue lettre à Bobby Gillespie, le chanteur de Primal Scream. Ils n’avaient encore sorti que deux singles, mais pour moi, Bobby était un dieu vivant. »
Reaching out from here « En ce moment, j’habite à Preston, une petite ville industrielle à 30 kilomètres au nord de Liverpool. Ma copine y enseigne dans une école. Cette chanson, c’est mon petit coup de gueule contre le Nord, contre la déprime qui y règne. Je veux revenir à Londres au plus vite. C’est à Londres que je me sens chez moi. Malheureusement, Alan McGee, le patron de Creation Records, nous interdit d’y enregistrer. Il dit que nous sommes incapables d’y être sérieux, à cause de tous ces bars, de tous ces clubs. Nous avons donc enregistré à Rockfield, au Pays de Galles, dans le même studio que les Stone Roses. Nous sommes restés là-bas pendant sept semaines, totalement coupés du monde. C’est à la fois un studio d’enregistrement et une ferme. Sice et moi passions notre temps à parler aux moutons, pendant que Rob et Tim les deux vrais musiciens du groupe bossaient comme des brutes. Au bout de deux jours, nous étions couverts de boue. Et je ne connais rien de plus plaisant que de jouer de la guitare avec de la merde de mouton sur ses pompes. Impossible de se prendre la grosse tête. »
Martin, doom! It’s seven o’clock « A Rockfield, nous vivions à l’envers. Nos journées commençaient vers 10 h du soir pour s’achever au petit matin. Je ne sais pas si c’est perceptible, mais moi, j’entends le souffle de la nuit sur ce disque : l’inquiétude, le mystère particulièrement sur ce morceau. J’ai acheté pour ma copine aux Etats-Unis le réveil qu’on entend au début de la chanson. C’est un bouledogue habillé en officier de la marine américaine qui joue de la trompette et t’ordonne de te lever. Résultat, je suis obligé de me taper ça tous les matins, quand ma copine se réveille. Je me lève aussi, lui prépare son café et retourne au lit pour le reste de la journée. »
Stuck on amber Encore une chanson sur l’ennui, cette impression de ne pas avancer. J’ai écrit ça chez moi, un jour où je n’avais envie de rien. Je me sentais paralysé, totalement dépendant de ma propre paresse, drogué par l’ennui. J’avais le sentiment d’être coincé à un carrefour, devant un feu qui serait resté bloqué sur l’orange. »
Charles Bukowski is dead « Dans un trou comme Preston, j’ai beaucoup de temps à consacrer à la lecture, qui reste l’une des plus grandes passions de ma vie. J’ai écrit ce morceau pendant que j’étais en studio avec Dave Baker, de Mercury Rev, pour lui filer un coup de main sur le disque qu’il enregistrait avec son nouveau groupe, Shady un désastre. Et le soir, à la radio, on a appris que Bukowski était mort. Alors voilà : je me suis isolé pendant un moment et j’ai écrit ça, sans réfléchir. J’ai toujours eu un rapport très personnel avec ses bouquins. J’ai l’impression qu’il y parle de moi. »
4 am conversation « J’aime ce morceau parce qu’il part de très bas pour finir très haut. Au début, il n’y a rien, juste cette voix feutrée et cette guitare. Et puis tout s’élève. Chez nous, les arrangements, les effets sont toujours prévus à l’avance, en répétition. L’enregistrement n’est donc qu’une formalité. Du coup, en studio, je peux me permettre de rester en retrait, de prendre un peu de recul. Je ne me sens pas capable de m’installer derrière la table de mixage pour triturer tous ces boutons. Je reste sur un canapé, quelques mètres plus loin. Et je me contente de dire « j’aime » ou « je n’aime pas ». Et dans le cas présent, j’aime beaucoup. »
Twinside « J’écoute seulement Giant steps depuis quelques semaines. Avant, je n’y arrivais pas : j’avais tellement peur d’être déçu. Avec Wake up!, je suis relativement confiant. Je savais que ce serait un grand disque de pop longtemps avant d’entrer en studio. Dans ma tête, tout était précis, les chansons existaient déjà depuis des mois. Pour moi, elles ont déjà résisté à l’épreuve du temps. »
Wilder « Je ne pensais pas mettre cette chanson sur l’album, mais les autres l’adoraient. On parle souvent de mon rôle dans le groupe, mais les trois autres musiciens ont une fonction essentielle : me contenir, me faire redescendre sur terre. Si j’étais seul aux commandes, tous les morceaux passeraient à l’envers, dans des filtres sonores incroyables, sous une tonne de distorsions. Grâce à Tim, Sice et Rob, j’ai l’impression de donner le meilleur de moi-même, de me dépasser pour écrire des mélodies comme celle-là. Ecrire des morceaux alambiqués ne me pose plus aucun problème. Aujourd’hui, écrire une mélodie toute nue est beaucoup plus difficile. Le vrai défi, c’est ça : faire simple. »
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