Dans la galaxie rap d’Atlanta, 21 Savage, porté aux nues par la presse anglo-saxonne, est de ces astres qui brillent un peu plus intensément que les autres ces dernières semaines. Portrait.
Une semaine après le corrosif et enfumé Blank Face LP de Schoolboy Q, quelques jours seulement avant la publication du superbe Everybody Looking de Gucci Mane, et plus ou moins en parallèle de toute une tripotée de MCs surdoués (Denzel Curry, Vince Staples, Kodak Black,…), 21 Savage est venu en juillet dernier démontrer la créativité, la tonicité et la diversité du hip-hop américain de 2016, avec sa mixtape Savage Mode (produite par Metro Boomin). Une année qui, à coup sûr, rassure ceux qui s’inquiètent un peu trop facilement pour l’avenir du rap : oui, d’immenses MCs respirent le même air que nous.
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Mauvais garçon
Sur le papier, 21 Savage n’a pourtant rien de la next big thing. Son statut, diront les jaloux, il le doit surtout au soutien de Drake, qui, en plus de lui avoir offert une belle et luxuriante Ferrari pour ses 24 ans, lui a surtout permis d’accéder à la reconnaissance mondiale en le faisant poser sur son morceau Sneakin’, en novembre dernier. Le clip est éloquent : manteaux de fourrure, chaînes bling-bling, bitches aux formes rebondies et grosses cylindrées, les deux gus n’inventent rien, mais, comme souvent chez Drake ces dernières années, la formule fonctionne. D’autant qu’elle colle parfaitement à l’univers façonné par le prodige d’Atlanta depuis sa première mixtape Slaughter King en 2015.
C’est pourtant sur un titre de son dernier projet, Savage Mode, composé et enregistré aux côtés du beatmaker Metro Boomin (Kanye West, Drake, Migos), que 21 Savage trouve sa meilleure définition : Bad Guy, un morceau porté par des gimmicks étincelants, un verbe trivial, un beat qui suinte la mauvaise weed et des lyrics explicites : « As you know, I keep that glock with the red dot / Shoot a nigga in his face, he ain’t bad now ». A priori, rien de plus que ce que l’on trouve chez d’autres durs à cuire, mais 21 Savage le dit avec une telle décontraction, un tel je-m’en-foutisme qu’on a l’impression qu’il en parle comme d’une routine. Et c’est assez vrai : Shayaa Joseph, pour les intimes, fait lui aussi partie de cette génération d’Afro-Américains pour qui les règlements de compte, les vies déchirées par les bavures policières et les destins inéducables sont quotidiens.
Sans foi, ni loi
“La mort, c’est naturel, rembobinait-il pour le magazine XXL. C’est le meurtre qui ne l’est pas. J’ai juste appris à vivre avec depuis que je suis gamin : mon oncle s’est fait tuer devant mes yeux quand j’avais 11 ans. On lui a tiré dans la tête deux fois.” De ces années sauvages, il en reste bien d’autres stigmates : la disparition de deux de ses meilleurs amis, six balles reçus dans le corps qui lui laissent aujourd’hui quelques cicatrices, et l’expression Death Before Dishonor tatouée sur son front, juste au-dessus d’un poignard dessiné pile entre ses deux yeux – un hommage à son petit frère, lui aussi assassiné à Atlanta. Il en reste aussi tout un tas de souvenirs amers, qu’il ne cesse de retranscrire dans ses textes depuis son premier single, Picky, en 2015. Produit par DJ Plugg, ce titre fait le buzz à Atlanta et lui ouvre les portes : Young Thug le prend avec lui en tournée, Lil Yachty pose un couplet à ses côtés et le super producteur Metro Boomin voit en lui « l’un des derniers vrais négros du ghetto à faire de la musique ».
Mais sa réputation ne cesse de prendre de l’ampleur lorsqu’il publie Free Guwop – un EP réalisé en soutien à Gucci Mane alors sous les mains de la justice – quitte à déborder du cadre du rap et à traverser l’Atlantique… le temps d’un morceau du moins, grâce au nerveux No Target, enregistré aux côtés de Brodinski. Dans la foulée, 21 Savage traîne sa dégaine en couverture du magazine américain XXL (aux côtés d’Anderson .Paak, Kodak Black ou encore Desiigner), emblématise le renouveau de la scène rap d’Atlanta et voit les superlatifs élogieux pleuvoir de toute part.
https://www.youtube.com/watch?v=KL9j29fbiDk
“Il déchire en ce moment”
Stereogum en parle comme « du nouveau mauvais garçon du rap« , The Fader le fait poser en couverture de son numéro de décembre et Drake en personne, sur sa page Instagram, le considère comme l’avenir du hip-hop, celui qui « déchire en ce moment ». Autant dire que le délire médiatico-artistique autour du bonhomme est total, et justifié. Car, si son flow est parfois répétitif, souvent nonchalant (probablement la conséquence de sa consommation soutenue de drank et d’anti-douleurs), 21 Savage n’en reste pas moins fascinant dans sa façon de construire des univers ultra-sombres, sorte de capharnaüm lugubre où règnent l’anxiété, la mélancolie et l’émotivité musclée.
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