Un étonnant album polyglotte et labial au printemps, un concert unique cet été à Vienne : c’est le retour du virtuose tranquille Bobby McFerrin.
« Existe-t-il une musique universelle ?”, demande Bobby McFerrin. Son dernier album, Vocabularies, apporte la réponse : c’est un projet kaléidoscopique et polyglotte, qui ouvre le chant (des possibles) au reste du monde. Avant, il y eut Don’t Worry, Be Happy (1988). Une petite chanson rigolote, a capella, qui connut un succès planétaire et durable.
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Sur le site de McFerrin, tout le monde peut essayer : on y découvre les différentes pistes enregistrées et superposées par le vocaliste funambule, exercice étourdissant sous une apparente facilité. Depuis, Bobby McFerrin est parfois réduit à ce rôle de maître chanteur qui fait reprendre ses chansons au public, s’amuse de ses figures de style sans filet. Il assume cet “hymne à la bonne humeur”, ainsi que les musiques de pub et les génériques populaires (le Cosby Show, c’est lui) qui ont placé sa voix un peu partout dans le quotidien.
Mais la facilité et le succès, Bobby McFerrin les a chèrement conquis. Ses locks grisonnent ici et là. Avec son corps sec de danseur dans un T-shirt noir, baskets aux pieds, on lui donne bien moins que ses tout juste 60 ans. Bobby McFerrin a grandi à Manhattan dans un environnement familial exigeant. Dans les années 1960, son père est le premier Afro-Américain à se produire comme baryton soliste au prestigieux Metropolitan Opera de New York. Sa mère est également chanteuse pour plusieurs compagnies, avant de devenir professeur émérite d’une grande institution en Californie.
L’excellence est de rigueur dans la famille. “Il n’y avait pas de pression particulière. C’était plutôt l’exemplarité qui imposait de viser haut.” Jeune, Bobby McFerrin apprend le piano. Il est d’abord accompagnateur dans un dédépartement de danse, à l’université d’Utah. Pas assez bon pour percer, il vivote en reprenant des chansons de Stevie Wonder, de Jackson Browne, dans un piano-bar de Salt Lake City. Le comédien et producteur Bill Cosby repère ses acrobaties polyrythmiques, son falsetto léger. “Je reprenais des standards avec l’envie de trouver quelque chose de singulier. Je ne savais pas trop quoi. Je m’imaginais seul sur scène, sans instrument, en train de communier avec le public. Le magnétocassette était mon seul guide : je faisais des essais, j’écoutais, je recommençais.”
Pendant plusieurs années, McFerrin s’astreint à des heures de vocalises, à des gammes aussi rigoureuses que les exercices à la barre des danseurs. L’artiste commence à entrevoir une piste où l’expression corporelle colle à la voix, à moins que ce ne soit l’inverse. Entre scat, beatboxing, bop, soul, opéra, son style épouse le mouvement, ses mouvements. Après le succès soudain de Don’t Worry…, il se repositionne comme chanteur de jazz, en duo avec Chick Corea, puis s’essaie en conducteur d’orchestre symphonique, en duettiste avec le violoncelliste Yo-Yo Ma.
Au risque de dispenser ses saltos dans une chorégraphie aérienne mais parfois un peu vaine. En 2009, Bobby McFerrin collabore avec le chercheur Daniel Levitin, auteur du best-seller This Is Your Brain on Music, qui relie la gestuelle et le chant, les gammes pentatoniques et la danse. En live, Bobby McFerrin joue avec le public, dans un tête-àtête où l’improvisation et la prise de risques sont le contrepoint d’une technicité (registre de plusieurs octaves, percussions vocales et constructions harmoniques d’une précision inouïe) rendue ludique.
“L’expertise sans l’échange ne m’intéresse pas. J’aime faire intervenir le public. J’ai découvert en jouant dans le monde entier que les gens complètent instinctivement certaines phrases musicales compliquées. Chaque fois, le scénario se reproduit : j’attaque un passage, j’ajoute une mélodie, un beat, je m’interromps et ils devinent la suite, comme si nous avions une mémoire commune.”
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