Ce sont les plus flamboyants cocus de l’histoire, l’indifférence et la poussière auraient pu les ensevelir à jamais sans le miracle des rééditions qui les ramènent aujourd’hui en pleine lumière. Bienvenu dans le monde tragique, impitoyable et fascinant des trésors cachés de la musique : cette semaine, The Pretty Things & Philippe Debarge.
The Pretty Things / Philippe Debarge Eponyme
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Enregistré en 1969 mais jamais publié.
Sorti pour la première fois en vinyle en 2008 (épuisé) chez UT Records
Sorti en CD en 2009 chez UT Records
[attachment id=298]Nous sommes à quelques jets de pavés de mai 68 mais le dénommé Philippe Debarge, qui a pourtant l’age de la révolte et des barricades, se moque comme de sa première paire de Weston des soulèvements étudiants. Ce fils de (très) bonne famille, playboy sans complexe, réside d’ailleurs loin du Quartier Latin, dans ce Saint-Tropez qui fait rêver la France prolétaire depuis que Bardot a choisi d’y installer sa légende, Eddie Barclay son salon d’été et Jean Girault ses gendarmes. Dans l’immense propriété des Debarge, dont le patriarche a fait fortune dans l’industrie pharmaceutique, les voitures de sport et les berlines poussent aussi vite que chez d’autres les pissenlits. Il y a même une impressionnante Rolls Royce de 1908 que Philippe, qui sait recevoir, va dépêcher pour aller cueillir les invités très spéciaux qu’il a convié à venir le rejoindre sur la Côte d’Azur.
Car si Philippe Debarge est né avec une petite cuiller dans la bouche, il n’a pas pour autant du plomb dans les oreilles. Au contraire, en cette époque où le jerk triomphe dans les Whisky-Clubs de la région, où les vapeurs du psychédélisme envoûtent jusqu’aux soirées balnéaires de la Jet-set, Philippe et ses amis écoutent les Stones, les Them, Who et autres Small Faces et se donnent ainsi l’illusion d’appartenir par la stéréo interposée à la génération des bad boys qui a mis de l’urgence et du style dans le rock britannique. Mais Philippe et ses potes ont pour groupe fétiche un bel outsider : The Pretty Things. Ainsi baptisé en hommage à Bo Diddley (et à sa chanson Pretty Thing), cet explosif quintet londonien a épousé en quelques années toutes les nuances qui colorent le rock depuis le milieu des années 60, du rhythm’n’blues des débuts à la pop psychédélique de l’album Emotions, pour accoucher quelques mois avant tout le monde du premier opéra-rock de l’histoire, le génial S.F. Sorrow. C’est ce groupe désormais auréolé d’une réputation artistique nettement plus flatteuse qu’à ses débuts que Philippe Debarge a invité à venir le rejoindre à Saint Trop’. Il a tout bonnement proposé à deux des membres des Pretty Things, le chanteur Phil May et le multi-instrumentiste Wally Waller, de venir passer quelques jours tout frais payés pour lui écrire des chansons. Car Debarge, qui possède quand même des réflexes d’enfant gâté, s’imagine pouvoir chanter sur tout un album, accompagné qui plus est par son groupe favori. « C’était un mec étrange, dira plus tard Phil May, et en même temps un type très intelligent et incroyablement généreux et chaleureux. C’était difficile de lui refuser quelque chose, il était vraiment déterminé (…) A ce moment de sa vie, il voulait à tout prix faire de la musique. »
Pendant une semaine, May et Waller se font donc rincer par ce drôle de frenchy qui subvient à tous leurs besoins en liquides divers, nourriture et chair fraîche en bikinis taille timbre poste, importée directement des plages tropéziennes réputées pour leur absence totale d’inhibition. On ignore si le climat et les distractions auront permis sur le moment d’écrire la moindre chanson, mais en tout cas les deux londoniens constatent à cette occasion que leur hôte parle un anglais parfait, sans doute appris dans les meilleures écoles bilingues, et possède une honnête voix, ce qui ne devrait pas rendre la chose impossible.
Rendez-vous est donc pris quelques semaines plus tard à Londres, dans le studio Nova situé à Marble Arch et qui possède un magneto 8-pistes, grand luxe pour l’époque, que les Pretty Things ont pu booker en même temps qu’un arsenal d’instruments dernier cri grâce au chéquier de leur commanditaire.
Dans un pur esprit gagnant-gagnant – les Pretty Things peuvent tester sans pression des pistes musicales nouvelles, le jeune français s’offre un cadeau d’une inestimable valeur -, l’album prend corps autour de compositions essentiellement écrites par la paire May/Waller qui fait en ces années-là des étincelles dorées de tout ce qu’elle touche.
Situées donc entre S.F. Sorrow et Parachute, les deux offrandes les plus consistantes de la discographie des Pretty Things, ces sessions valent bien plus qu’un simple caprice de gosse de riche. La vraie richesse est à l’intérieur de chacune de ces pistes qui vibrent d’une intensité incroyable, montrant que les Pretty Things prenaient cette entreprise très au sérieux. Mais surtout, Debarge s’improvise en leader très convainquant sur ces douze titres qui se déploient comme l’éventail le plus large des tendances de l’époque. Hello how do you do fait figure d’intro conviviale, genre feu de camp en contrebas d’une bacchanale psyché avec guitares fuzz et hypnose rythmique. Le splendide You might even say ressemble à un inédit du Forever changes de Love resté à l’état de démo tandis que Alexander – que les Pretty Things intégreront à leur set de l’époque – est une cavalcade convulsive tout juste adoucie par un refrain aux harmonies west coast. Plus influencé d’ailleurs par le son californien qu’aucun autre disque des Pretty Things, cet album possède la ferveur de certains Moby Grape et la beauté tribale et enfumée du Grateful Dead, tout en laissant apparaître les stigmates du baroque anglais à travers les clavecins et autres mellotrons qui viennent régulièrement torpiller l’ambiance. Il y a même une chanson anti-Vietnam, Eagles’s son, dont la construction épineuse et la densité dramatique éclaboussent tout ce qui a pu être écrit de mieux sur le sujet. New day est un autre morceau de bravoure dont l’onctueuse mélodie s’acclimate à la perfection avec l’atmosphère Beatles période Mystery tour que les Pretty Things ont réussi à recréer.
Venu simplement pour se faire plaisir, Philippe Debarge va repartir à Saint-Tropez avec sous le bras un authentique chef d’œuvre qu’il a l’intention de publier sous son nom. Il ne le fera jamais et l’album restera dans les cartons, devenant forcément l’un des objets les plus convoités par les fans des Pretty Things et plus largement par tous ceux qui s’intéressent de près à l’Angleterre sixties. Curieusement, Debarge n’abandonnera pas son rêve et convoquera cinq ans plus tard May et Waller pour la réalisation d’un autre disque, en Français celui-là, qui sortira dans le commerce mais reste tout aussi difficile à dégoter. Philippe Debarge est mort il y a une dizaine d’années, mais son nom reste étroitement lié aux Pretty Things, qui ont voulu lui rendre hommage à l’occasion de la réédition, enfin, de cet album mythique – et dont la réputation n’est en rien usurpée. C’était l’an dernier, et le morceau Monsieur Rock (Ballad of Philippe) prouve que l’un des plus increvables groupes anglais possède encore de beaux restes. Si un jeune milliardaire français veut à nouveau faire appel à leurs services…
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