A Caen, Vincent Julliard propose une exposition qui se visite dans le noir et ne se raconte pas.
Très discret, Vincent Julliard ne veut pas son portrait dans le journal : « Ça n’apporterait rien. L’important, c’est la pièce, pas moi. » Un naturel modeste pour ce jeune homme de 30 ans, originaire de Cherbourg, qui s’est pourtant payé le luxe, l’année dernière, d’un passage par le Zapping de Canal+. On y découvrit un extrait de l’une de ses oeuvres vidéo, Théâtre ORL : dans sa bouche, il plaçait des figurines en plastique et s’égosillait. Surprenant et drôle à la fois. La bouche comme espace de représentation. La formule idéale pour être remarqué. Pourtant, Vincent Julliard affectionne plus les manipulations et les tours de magie que le rôle du clown qui fait rire pour séduire.
Dans le Théâtre ORL, l’action se passe en temps réel devant un caméscope. Par intermittences, Julliard tourne le dos à l’objectif de la caméra, joue du tambourin pour faire patienter le public, et réapparaît à l’écran, de nouveaux personnages dans la bouche. Un vrai tour de passe-passe. D’ailleurs, il aime citer Robert Houdin, le célèbre illusionniste, contemporain de Georges Méliès : « Le prestidigitateur est un acteur qui joue le rôle de prestidigitateur. » Ce qui le conduit un jour à vadrouiller dans les rues de Paris, une petite machine musicale dans la bouche (encore). Entre performance et tour de magie, il jouait l’homme-orchestre miniature, délivrant une mélodie perdue dans les vrombissements de la ville. « Je crois beaucoup en l’envie de faire des choses. C’est la seule valeur que je connaisse, même si c’est sans importance. »
Et Vincent Julliard poursuit son chemin : à la télé, dans la rue, dans les galeries, il sème de curieuses oeuvres pleines d’astuces, de trucs et de mystères. Au Frac Basse-Normandie, il expose une pièce au titre énigmatique : Courtesy Roudra. Qui est ce Roudra que l’on remercie ? « Rudra est un dieu hindou. Un dieu informel. J’ai rajouté un « o », comme ça, pour dire que c’est encore plus informel. Ce qui importe, c’est que ce soit compris comme si je remerciais tout le monde. »
Sensation curieuse, dépaysante, cette pièce est presque entièrement immergée dans l’obscurité. Rien de particulièrement audible, juste quelques chuchotements. Pas d’images vidéo ni de projection diapo. D’abord une impression de vide, puis sur le sol, de petits points lumineux scintillant comme des bouquets de fibres optiques. Pour découvrir la pièce, difficile de la décrire, il faut imaginer jouer à colin-maillard. « J’aime bien les jeux optiques et tout ce qui a précédé le cinéma comme les objets d’Emile Renault. Ce qui m’intéresse dans ses pièces, c’est que le procédé de fabrication de l’effet est visible : l’illusion et le mécanisme ne font qu’un. » Avancer à tâtons dans cette illusion à l’échelle humaine où, progressivement, le dispositif devient tangible et les murmures audibles. Florilège de réactions entendues à la sortie de l’exposition : « On a envie de ne toucher à rien. J’avais les pieds dans l’eau. L’eau rentrait dans mes bottes. Un endroit comme si l’on voyait les choses à l’envers. J’ai vu des pierres, des strates, des racines… » Et encore : « Avec des trucs qui flottent à la surface de l’eau, cette terre qui tombe dans l’eau… j’avais toujours l’impression qu’une bestiole allait surgir. Ça m’a fichu la trouille. J’ai détesté l’idée de rentrer dedans, surtout avec cette flotte ! »
Ne comptez pas sur Vincent Julliard pour apporter des explications. Depuis un an, à l’abri des regards indiscrets, avec quelques complices, il travaillait sur cette oeuvre. « Il faut maintenir le mystère, le but, c’est de tomber dans la fabulation. Le piège dans lequel je ne veux pas tomber, c’est l’idée du secret qu’il faudrait découvrir. J’aime bien l’expression « faire des secrets » : un secret ça se fabrique. Je n’en ai pas, donc j’en crée. Peut-être même que c’est le spectateur qui fait le secret, peut-être qu’à l’origine, il n’y a rien. Barthes disait « Il faut que cacher se voie. » Et quand on lui demande à quoi sert le jeu de diapo accessible dans le hall d’entrée de l’exposition, il répond :
« Ce sont des choses que j’ai trouvées pendant la fabrication de la pièce. De véritables trésors. »