Sans artifice, l’album le plus personnel de l’Irlandais Conor O’Brien, alias Villagers. Splendide. Rencontre, critique et écoute.
On avait fait la connaissance de Conor O’Brien il y a cinq ans via le superbe premier recueil de son projet Villagers, Becoming a Jackal. Le jeune homme, en quelques comptines folk à tiroirs, s’était d’emblée ouvert les portes de notre petit panthéon irlandais, non loin de Neil Hannon (et Gilbert O’ Sullivan ?). Plus complexe, son successeur Awayland avait un peu dérouté.
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Assumer
Bonne nouvelle : Darling Arithmetic, troisième volet de l’aventure, perce immédiatement le cœur. Dès la première écoute, dès, même, le tout premier couplet, la magie opère. Sur un bouleversant Courage, le musicien raconte le temps et l’audace qu’il lui a fallu pour devenir lui-même. Beau programme universel. Dans le cas du jeune O’Brien, cela signifia, notamment, le courage d’assumer son homosexualité, mission rendue difficile par l’étroitesse d’esprit de certains abrutis croisés en chemin.
“J’ai grandi en Irlande, où l’homophobie était monnaie courante. Avant, j’avais tendance à utiliser des métaphores pour évoquer ma sexualité. C’était naturel avec mes proches mais je n’étais pas à l’aise pour en parler aux journalistes ou à des inconnus. Aujourd’hui, j’ai atteint un stade où c’est devenu évident. Alors j’ai voulu ouvrir le disque avec cette chanson, de façon à ce que les suivantes puissent aussi être comprises sous cet angle.”
Délicatesse
Courage, en tous cas, bouleverse par sa fragilité – on l’enverrait bien à Frigide Barjot, tout comme l’ensemble du disque d’ailleurs, tant il regorge de petites pépites sensibles (No One to Blame, Hot Scary Summer). C’est d’ailleurs peut-être ce qui décrit le mieux les nouvelles ballades d’O’Brien : une délicatesse, une certaine place laissée au doute. On retrouve ainsi, de Everything I Am Is Yours à The Soul Serene, des échos des premiers albums de I Am Kloot ou un peu de la douceur mélancolique de Lambchop.
“Cette fois, j’ai eu envie d’utiliser moins ma tête et davantage mon cœur et mon ventre. Envie de ressentir les choses plutôt que d’y réfléchir. Je suis fier de mes anciens disques, mais parfois j’ai l’impression que j’ai voulu y mettre trop d’idées, trop de choses. Pour cet album, j’ai eu envie de clarté et de franchise.”
Plus personnel
Entièrement composé et enregistré dans une ancienne ferme de Malahide, une petite ville côtière en banlieue de Dublin où il réside avec des amis, Darling Arithmetic est l’œuvre la plus personnelle, la moins maquillée d’O’Brien.
“J’habite dans cette ferme depuis une dizaine d’années, avec cinq autres personnes. Tous mes disques ont été écrits là-bas. J’enregistre dans la grange. Quand j’ai commencé à enregistrer mes morceaux, je pensais qu’il s’agirait simplement de demos et que j’irais, dans un deuxième temps, faire le disque dans un vrai studio. Et puis, j’ai réalisé que je pouvais sortir ces chansons sous cette forme. J’ai tout fait moi-même en m’imposant des horaires de travail. Je commençais à 9 heures du matin, finissais à 17 heures, du lundi au vendredi.”
Fruit de ces sessions, toutes les chansons de Darling Arithmetic évoquent les relations amoureuses.
“J’ai eu l’occasion de jouer en live avec John Grant. Je me suis aperçu qu’il écrivait des chansons directes, qu’il parlait de ses sentiments sans les mettre en scène. J’ai compris que je pouvais faire la même chose. Que je n’avais plus besoin d’inventer des histoires ou des personnages.”
Seul, le songwriter n’a pas pour autant choisi de faire un disque épuré, lui offrant au contraire une belle enveloppe sonore – piano, mellotrons et batteries frôlées au balai. Les plus attentifs remarqueront aussi des cris de mouettes… L’ensemble est un enchantement. Parce que ses deux prédécesseurs avaient été nominés pour le Mercury Prize, on avancerait même que ce Darling Arithmetic mérite de l’emporter.
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