En rebâtissant de ses mains le patrimoine de son pays ravagé par la guerre, Vieux Farka Touré signe le plus bel album de sa discographie. Rencontre, critique et écoute.
Sur les rives du fleuve Niger, Niafunké est une ville modeste de 30 000 habitants où les petites embarcations aiment reprendre leur souffle, dernière étape avant Tombouctou, à 250 kilomètres au sud-ouest. Les bateaux marchands s’y arrêtent afin de remplir leur réservoir d’essence ou de changer une courroie “gâtée”. Pour quelques touristes seulement, la ville est une destination en soi, presque un lieu de pèlerinage depuis que l’illustre Ali Farka Touré y a enregistré en plein air l’un des plus merveilleux albums de blues de l’histoire, Niafunké, en 1999.
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Des toubabs viennent ainsi du monde entier pour admirer la muse de sable et de terre l’ayant inspiré. Niafunké fut l’amour d’une vie : Ali aurait pu vivre confortablement à Bamako, ne serait-ce que par commodité pour enregistrer et gérer sa carrière internationale, mais seule cette petite capitale régionale, dont il était d’ailleurs devenu maire avant de mourir, l’intéressait plus encore que sa guitare. Symboliquement donc, que toute sa famille ait dû fuir Niafunké la peur au ventre en 2012 fut un traumatisme pour cette ville et ses habitants. En écoutant le fils d’Ali expliquer pourquoi les siens refusent d’y retourner aujourd’hui, on relativise le triomphalisme des gouvernants français sur “la victoire au Mali”. Vieux Farka Touré s’inscrit en faux : “Tant que les rebelles ne seront pas complètement désarmés par nos soldats dans la région de Kidal, le danger sera encore là, tout près de Niafunké.”
En temps de guerre et de chaos national, valoriser ce que le Mali possède de plus noble est évidemment une façon de militer. Vieux exalte la riche diversité des ethnies ancestrales qui composent le peuple malien sur son nouvel album, Mon pays. Il loue la générosité des virtuoses l’ayant précédé avec, par exemple, un hommage à un autre guitariste illustre de la région de Mopti, Diack So. Dans la méthode, ce disque s’inspire du précédent : The Tel Aviv Session découlait d’une unique séance de studio nocturne avec son ami le pianiste israélien Idan Raichel, après un concert à Tel Aviv. “Le succès de cet album m’a permis de comprendre ce que les gens attendaient de moi : une musique naturelle, qui vient du cœur, fondée sur l’improvisation.”
Sur Mon pays, on peut admirer aussi la vélocité d’un certain Sidiki Diabaté à la kora. Vieux l’a enfermé dans un studio de Bamako en le prévenant qu’il n’aurait le droit qu’à une seule prise : “Je lui ai dit : ‘La première fois tu écoutes, la seconde fois tu joues, et c’est tout !” Dialogue entre guitare et kora, le morceau Doni doni est ainsi une rivière de cordes enchevêtrées à l’écume scintillante. Sans en tutoyer la grâce non plus, ce disque évoque ainsi In the Heart of the Moon, autre conversation historique de leurs deux paternels sur l’olympe du blues africain.
Car les familles Farka Touré et Diabaté ont depuis longtemps lié leur destin, au-delà même de la musique, Ali avait confié son fils à son griot Toumani pour qu’il l’éduque et le forme à la pratique de la guitare pendant de longues années. Aujourd’hui, Vieux s’occupe de Sidiki avec la même bienveillance. “La première fois que Sidiki a quitté le Mali, c’était pour m’accompagner à un festival en Ardèche, en 2006. Son père a toujours pris soin de moi et, à mon tour, je dois aider son fils, qui est aussi mon griot. Ça surprend parfois les gens, car ma famille vient du Nord et la sienne du Sud, mais en fait, selon nos traditions, ça devrait toujours se passer comme ça en Afrique.”
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