Né pendant le confinement, Vie étrange n’est pas le nouvel album de Dominique A, mais un “carnet de bord musical” documentant l’assourdissant silence printanier et publié dans la foulée d’un livre poignant en hommage à Philippe Pascal, dont il reprend L’Eclaircie.
En plein confinement, ce 15 avril, Dominique A sortait de manière inattendue une cover du regretté Philippe Pascal, L’Eclaircie – un titre à la fois printanier et prémonitoire, un mois avant le déconfinement. “Puisque nous en sommes à éprouver les vertus de l’attente et de la patience, j’avais envie de partager avec vous cette reprise du morceau emblématique de Marc Seberg : une chanson qui encourage justement à la patience”, écrivait-il, reclus dans sa maison des bords de Loire.
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Le lendemain, Christophe, après trois semaines d’hospitalisation entre Paris et Brest, disparaissait définitivement dans la nuit. “Quelle vie étrange/Plus de mots bleus no more”, chante Dominique A sur Vie étrange, bouleversante ballade à l’os qui donne son intitulé à un “carnet de bord musical de la période”, comme il surnomme ce disque qui n’est surtout pas son treizième album, promis à tout le moins en 2022, l’année du trentième anniversaire de La Fossette.
“C’est le dépit qui m’a donné envie de m’y recoller”
Après la parution du diptyque Toute latitude/La Fragilité (2018), Dominique A nous confessait en interview qu’il ne reviendrait pas avec un album “trop attendu” par son fidèle auditoire, lui qui court depuis tant d’années après son idéal artistique, Laughing Stock (1991) de Talk Talk, mais l’assignation à domicile confiné a complètement changé la donne. “C’est tout simplement le dépit qui m’a donné envie de m’y recoller”, plaisante d’emblée Dominique par téléphone, au lendemain d’une lecture dans une librairie nantaise de Fleurs plantées par Philippe, son émouvant récit en hommage au chanteur de Marquis de Sade.
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“Au départ, je souhaitais partager mon dépit et surtout cette reprise de L’Eclaircie de Marc Seberg à travers les réseaux sociaux. Sa réception publique a été bien supérieure à mes attentes, comme si j’avais touché un point sensible chez les gens. Etant dans l’écriture d’un gros album depuis un an et demi, qui sera très dépendant d’interactions avec d’autres musiciens, je suis revenu à une forme d’autarcie et de laisser venir bashungien, en improvisant des morceaux avec mon 8-pistes numérique, mes guitares, ma boîte à rythmes et mes pédales d’effets. C’est un disque qui n’aurait pas dû exister et j’étais d’ailleurs dans une forme de déni en le faisant.”
Aguerri à l’enregistrement domestique, le chanteur majuscule redécouvre, comme à l’époque antédiluvienne de la cassette Boulba (1990) et d’Un disque sourd (1991), les joies de l’autosuffisance alors que le silence du confinement printanier devient de plus en plus assourdissant. Les textes naissent au gré des lectures (Papiers froissés, titre homonyme d’une BD de l’Espagnol Nadar), de l’inspiration (Un endroit mystérieux, à côté de chez lui), de l’actualité (Vie étrange) et du hasard (A la même place, pour évoquer un couple de petits vieux toujours assis à la même place face au fleuve ligérien).
Ces quatre premières chansons constituent donc un ep digital, Le Silence ou tout comme, paru le 10 juillet dernier. Cette parenthèse discographique comble “la peur du vide” manifeste de son auteur-compositeur-interprète et s’enrichit cet automne d’un autre ep qui, au final, constitue une œuvre solitaire mais jamais claustrophobe, Vie étrange, intitulé idoine pour cette année décidément pas comme les autres.
“La musique est une vraie béquille morale dans cette période anxiogène”
“J’ai une forme de muratisation qui s’affirme et qui commence sérieusement à se voir, admet Dominique, avec le sourire communicatif qu’on lui connaît. Parce que je suis infoutu de ne pas être dans un processus créatif ni de ne pas diffuser, par impatience, ce que j’enregistre. J’aime l’idée de divulguer publiquement tout mon travail. C’est aussi une manière de m’en débarrasser.”
Du maxi digital (frustrant pour son public encore particulièrement attaché au support) au disque physique (CD et vinyle limité à 1000 exemplaires), Dominique A emboîte donc le pas, et ajoute cinq autres inédits – dont Les Eveillés, admirable chanson d’amour, et Sols d’automne de circonstance, portés par cette voix rentrée qui touche au plus près –, en sus de la version frissonnante de Marc Seberg, véritable matrice de Vie étrange.
Bien sûr, les incertitudes de la pandémie bouchant tout horizon artistique n’ont fait qu’amplifier le désir de cette sortie imprévue et ramassée en dix morceaux (une première dans la généreuse discographie de Dominique A). “L’incapacité à nous projeter est devenue notre lot quotidien et remet en cause des projets plus ambitieux à long terme, pointe-t-il fort justement. Nous sommes donc condamnés à jouer sur les deux tableaux, sans quoi la chute pourrait être vertigineuse. Entre les attentats et le coronavirus, il devient impossible de prévoir quoi que ce soit.”
Le déconfinement a aussi réveillé la mélomanie de Dominique A, à l’affût des nouveautés musicales comme cet auditeur boulimique le fut longtemps, jetant notamment son dévolu sur les derniers albums de Sufjan Stevens, Angel Olsen, Nicolas Jaar ou encore Meryem Aboulouafa. “La musique est une vraie béquille morale dans cette période anxiogène et contre la morosité ambiante.”
Vie étrange (Cinq 7/Wagram), sortie le 6 novembre
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