Avec Vespertine, prochain album équilibriste et apaisé, Björk continue ses odyssées insensées. Mais le voyage est aujourd’hui intérieur, sur une mer d’huile qui peut à l’occasion virer vinaigre. En attendant sa sortie le 28 août, écoute détaillée de ce nouveau coup de maîtresse avec les trois derniers morceaux de l’album.
Heirloom
Heirloom comme héritage. Où l’on se rappelle, effaré, que si cette musique connaît une descendance aussi éparpillée qu’inégale, on ne lui connaît aucune ascendance. D’ailleurs, il a fallu créer un mot pour décrire cette manière unique de composer et d’être : les björkismes. Pour la première fois de notre vie, on a ainsi vécu en direct l’éclosion d’un genre neuf, d’une musique aux racines incertaines, en tout cas moins importantes que les fleurs en surface. Pas un hasard si Björk est sortie de sa chrysalide dans les années 90, ces années au mainstream rétrograde et cynique. Pas moyen, donc, ici comme ailleurs, de dénicher une quelconque paternité à cette pop-song qui rendrait perplexe tout test d’ADN. Car sur (sous ?) un texte personnel comme jamais, Björk fait avancer de front trois ou quatre idées (de rythmes, de mélodies, de séquences’) d’apparence contradictoire, mais unies par le miracle constant de sa vision extra-large. C’est ce qui fascine, en musique comme en conversation, chez Björk : sa capacité à toujours retomber sur ses pieds alors même qu’on la jurait en chute libre. Ici, c’est avec autorité qu’elle canalise ces forces a priori ennemis dans le flux irréel de sa chanson, ritournelle impassible pourtant bâtie sur le chaos. Oui mais : la puissance effrontée de la musique de Björk survivra-t-elle à cette fin pacifique des conflits ?
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Harm of will
Sous une pluie givrante de cordes (ne jamais oublier la passion de Björk pour Sibelius), l’emphatique Harm of will ferait un formidable générique de fin pour un film Walt Disney : sans doute celui qu’aurait écrit un jour Tim Burton s’il ne s’était pas fait virer des studios hollywoodiens. Là encore, on retrouve les envolées fiévreuses et les équilibres savants entre bricolages électronique et grandeur symphonique des moments les plus gonflés d’Homogenic. Sauf qu’ici, la terre est stable, la paix sans menace. Oui mais : la puissance effrontée de la musique de Björk survivra-t-elle à cette fin pacifique des conflits ?
Unison
Chanson la plus facétieuse et joviale de Vespertine, Unison achève l’album en un happy-ending exalté. Un final résolument plus fidèle aux comédies musicales hollywoodiennes chéries par Björk qu’à la logique pesante de la fin de Dancer in the dark? ?Je n’aurais jamais pensé que j’en arriverais à des compromis?, s’amuse Björk sur ce tour de force qui fait chanter à l’unisson la plus extravagante foison orchestrale et le plus chétif soutien électronique. Oui mais : la puissance effrontée de la musique de Björk survivra-t-elle à cette fin pacifique des conflits ? Et comment ! Revenue de mission, l’aventurière Björk se plonge dans un voyage autrement plus heurté et risqué : la plongée en soi, en apnée. Car sous ses faux-airs domestiques et cocooniens, Vespertine continue la même quête d’ailleurs, de virginité mais les fenêtre tournées vers l’intérieur plutôt que vers l’extérieur. Pas étonnant que, pour cette expédition, Björk se soit encombrée d’un minimum de collaborateurs (Matthew Herbert, Matmos, Mark Stent, Thomas Knak ou les fidèles Marius de Vries, Guy Sigsworth ou Valgeir Sigurdsson) et de peu d’effets. Même la pochette, (signée de notre ancien collaborateur et ami Michalon, semble un clin d’œil à cette révolution feutrée : un cygne. Car effectivement, pour Björk telle que nous la fréquentions en cascadeuse, il s’agit bien ici du chant du cygne. ?Pour la première fois dans ma vie, je me suis efforcée de créer un paradis, un cocon?, dit-elle. On le sait désormais : il neige au paradis.
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