Jusqu’à la mi-décembre, Véronique Sanson rejoue ses années américaines. Quatre années entre 1973 et 1978 pendant lesquelles elle a composé quelques-uns de ses meilleurs disques et su s’affranchir d’un songwriting gaulois sclérosé et trop yéyé. Véro parle d’Amérique, de sa discographie, mais aussi de Jay Z, Christine and the Queens et de la nuit. Entretien.
En 1972, Véronique Sanson a 23 ans. Elle vient de sortir Amoureuse, un album enregistré par son compagnon Michel Berger, qui sonne la fin de l’époque yéyé et marque un tournant dans la chanson française. Dans la vie de Véronique également. L’histoire est connue : alors qu’elle est sur le point d’emménager avec Berger dans un appartement bourgeois du 17e, Vero descend chercher des clopes et ne revient jamais, tournant le dos à une vie « rangée » et un idéal bourgeois. Elle s’envole en Amérique retrouver le musicien Stephen Stills, guitariste rock star ( Buffalo Springfield, Crosby, Still, Nash & Young puis Manassas).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
1973 marquera donc le début des années américaines, alternance de voyages, de strass, de moments de solitude et de grosse fêtes, de violence, de défonce (la coke, « les larmes de kirsch » qu’elle pleure au petit matin) et de regrets liés à la vie qu’elle à laissée de l’autre côté de l’Atlantique. De 1973 à 1978, trois albums (Le Maudit, Vancouver, Hollywood) naitront de cette drôle de vie, qu’elle racontera comme personne d’autre avant elle dans la chanson française : sans fard, sans filtre, à la manière des chanteuses de blues. Ce sont ces années (qui sont les plus riches de sa discographie) que la chanteuse a choisi de rejouer sur scène, jusqu’à la mi décembre, seule au piano, magistrale, ou au contraire accompagnée de huit musiciens façon big band. Rencontre dans un vieux café du Trocadéro.
Pourquoi avez-vous décidé de vous replonger dans Les années américaines, cette période qui regroupe trois albums, de 1973 à 1978 ?
Au départ je ne devais faire qu’une série de concerts sur une semaine à l’Olympia ainsi que quelques dates en province, puis on a fini par faire trois semaines d’Olympia et une tournée plus conséquente. Ces années-là semblent avoir particulièrement touché les gens. On a donc décidé de monter une tournée.
Que représente cette période pour vous? C’est une époque charnière dans votre carrière.
Absolument. Elle est synonyme de mon départ brutal de la France. Quand je suis arrivée aux Etats-Unis, il fallait que je fasse un album or je ne savais pas comment il fallait s’y prendre. Je ne savais même pas comment réserver un studio car c’était Michel qui s’occupait de tout pour moi. Toute la préparation d’un disque m’était totalement étrangère, je ne savais pas faire. Steve (Stills), mon premier mari m’a donc beaucoup aidé et j’ai ainsi pu réaliser Le Maudit avec l’aide de tout son entourage. Il m’avait mis à disposition son studio ainsi que ses musiciens. Tout le monde a mis la main à la pâte.
Vous avez travaillé avec Jim Gordon qui a bossé avec les Beach Boys, Eric Clapton et les Everly Brothers ou encore Ray Cooper, un proche collaborateur d’Elton John dans les années 70. Comment vous ont accueilli ces musiciens prestigieux, faisaient-ils preuve au début d’une certaine condescendance ou d’un paternalisme ou bien vous ont-ils pris pour l’une des leurs ?
Au début ils ont du se dire « c’est la femme du patron » mais, très vite, ce sentiment s’efface quand on joue de la musique. En musique il n’y a plus d’homme ni de femme qui vaille. Ils étaient plutôt bienveillants, ils voulaient m’aider car ils aimaient les chansons du Maudit. C’était nouveau pour eux. J’avais une approche de la musique qu’ils ne connaissaient pas et ils n’étaient pas du tout sectaires, au contraire.
Le maudit est l’une de vos plus belles chansons. Vous souvenez-vous de l’endroit et de l’état d’esprit dans lequel vous étiez quand vous avez écrit cette chanson ?
En ce qui concerne mon état, je pense que les paroles parlent d’elles-mêmes. Pas bien. Mais je ne sais plus vraiment où j’étais. J’ai sûrement dû la commencer à Paris et la finir dans le Colorado. Je ne fais pas partie de ces gens qui ont besoin d’une ambiance et d’une routine particulière pour pouvoir écrire et composer, je peux écrire absolument partout. Même dans ma voiture, j’ai des bouts de paroles sur des cartes de France, des listes de course. Les idées sont si fugaces qu’il faut pouvoir écrire partout. Je n’écris jamais d’un coup une chanson, des morceaux me viennent ici et là, sauf Ma révérence et Mortelles Pensées. Mon déménagement aux Etats-Unis c’était comme sauter un abîme car à l’époque, au début des années 70, il y avait quatre stations de radio en France et là-bas il y a environ 350 000 radios par état donc tout était vécu musicalement. En plus les années 70 ont été la décennie bénie du siècle dernier. Et ce, dans tous les domaines, au niveau social, au niveau musical, il y avait une véritable émulation, une volonté de liberté et d’insouciance.
Qui faisait partie de votre entourage à cette époque ?
C’était surtout les amis de Steve, des monstres sacrés de la musique. Leur approche de la musique était vraiment moins coincée qu’en France. J’ai très vite voulu me démarquer du yéyé qui régnait en France et qui n’était quasiment constitué que de reprises de chansons archi connues aux Etats-Unis, ça me faisait chier quoi. Nos idoles à nous (la nouvelle chanson française de l’époque) c’était les Beatles, c’était révolutionnaire, encore plus que les Stones. Il y avait d’ailleurs des clans Beatles, des clans Stones et même des clans Crosby, Stills, Nash & Young, que je n’aimais pas d’ailleurs ! On a donc voulu écrire nos mondes, avec nos mots et en français, j’insiste là-dessus. C’est incompréhensible pour moi que des français n’écrivent pas dans leur langue, tout comme c’est incompréhensible que The Voice ne s’appelle pas La Voix, comme au Québec.
Il y a de plus en plus de jeunes groupes qui se remettent au français…
Oui je sais. Par exemple hier j’enregistrais une émission avec Dave avec une jeune fille qui s’appelle Marina Kaye, qui est charmante. Mais je ne comprends pas qu’on veuille chanter en anglais quand on vient de Marseille. Je comprends d’une certaine manière que certaines personnes veuillent élargir leur marché à des fins plus commerciales mais ils pourraient se bouger un peu plus. Il faut aussi avouer que l’anglais est quand même une langue beaucoup plus simple à manier, il n’y a que des voyelles alors que le français est plein de subtilités, il faut savoir le faire sonner.
Justement, est-ce que le fait de vivre aux Etats-Unis, de parler anglais toute la journée et d’être dans ce bain musical-là a changé votre façon de faire sonner le français ?
Peut etre. Mais depuis toujours j’accorde une importance primordiale au phrasé. Par exemple, j’ai choisi Vancouver pour ma chanson du même nom sans jamais y être allée de ma vie, je trouvais simplement que le mot était d’une grande douceur et qu’il sonnait bien.
Ce qui frappe aussi, dans les chansons de cette période, c’est la façon dont vous parlez de votre quotidien, assez inédite dans la chanson française. Dans le Maudit, entre autres, vous parlez sans filtre de vos sentiments, de drogues, d’alcool, des excès, de tout ce qui fait un individu. Aujourd’hui encore c’est étonnant de vous entendre prononcer le mot « cocaïne » dans Etrange comédie.
Je ne m’en rendais pas compte, je ne me suis pas posée la question de savoir si c’était bien ou pas. Cocaine ça sonne bien. C’est un exorcisme incroyable d’écrire des chansons, encore plus quand on est seule. Quand je suis arrivée aux Etats-Unis je n’avais plus d’amis, j’avais tout laissé derrière moi, ma famille, mes amis, tout.
Avez-vous réussi à créer de nouveaux liens là-bas ?
Non car personne n’arrivait à trouver notre maison, on habitait à plus de 3000 mètres d’altitude. Heureusement Joe Walsh des Eagles habitait à côté de nous donc on le voyait souvent. Le reste du temps je le passais dans une grande pièce où se trouvait un piano et j’écrivais tout le temps.
Vous faisiez également beaucoup la fête?
Oui c’était des années de liberté et d’insouciance. Nous étions entourés de musiciens, de peintres qu’on rencontrait au fil de nos voyages. On a habité à San Francisco, à Miami, à Hawai. Là-bas on vivait dans une maison en bois sur pilotis, à côté de celle de Neil Young. Mais au bout de quinze jours à Hawaï, l’ennui finit par arriver, même si j’y ai fait plein de trucs comme passer mon brevet de plongée, qui est ma passion. Et puis on faisait vraiment beaucoup la fête, c’était un mode de vie à l’époque, on était « raides déf’ ».
Vous parlez d’insouciance pourtant le faux semblant, revient souvent dans vos paroles. Vous parlez de votre « drôle de vie », de comédie. Il y a comme une distance entre l’apparence que vous donnez de votre vie et ce que vous écrivez.
Oui, et il y a aussi une impression du « faux » qui est inhérente aux Etats-Unis. Quand je suis venue à Los Angeles pour la première fois je pensais que les maisons étaient en carton, tout fait faux. Nous habitions à Bel Air dans une immense maison, et je me souviens que dans mon salon, enfin son salon, il y avait un arbre de Noël immense, du genre 9 mètres de haut, qui paraissait minuscule dans la pièce. Tout était gigantesque et semblait en toc, même les pierres des murs, j’avais l’impression d’être dans un décor de théâtre, ou à Universal Studio.
A aucun moment vous ne vous êtes sentie chez vous ?
Quand j’ai enfin eu mon chez-moi, je m’y suis sentie bien, autrement je ne me sentais rien du tout. Je me sentais juste sur terre. Mais j‘étais quand même contente, je faisais beaucoup de musique, j’étais très prolifique à l’époque et puis j’adorais sortir aussi.
En 2008 Jay Z a samplé Une nuit sur son épaule sur sa chanson History qu’il a dédié à la victoire de Barack Obama. Qu’avez-vous ressenti ? Ça vous a surprise ?
Plein de gens m’avaient appelé, ils étaient hystériques, fous de joie. Moi je ne savais pas du tout qui c’était. Je me suis simplement demandée comment il a fait pour trouver cette chanson. Je suis très contente et flattée, par ricochet, qu’il l’ait fait mais pour être honnête, Jay Z ça ne m’évoque rien. Je n’aime pas ce qu’il fait, ça me fait chier.
Jeanne Cherhal qui vous a rendu hommage avec son interprétation d’Amoureuse, ça vous a davantage touché ?
C’était trop mignon, ça m’a énormément touché, j’ai pleuré alors que je m’étais apprêtée pour l’occasion, j’avais du maquillage partout. Grâce à son interprétation j’ai compris ce que j’avais écrit. Mes mots ont pris un autre sens.
Et est-ce qu’il y a des gens dans la jeune scène française actuelle qui vous plaisent ?
J’écoute tout le temps fip. C’est là que j’ai découvert Christine & The Queens. J’aime beaucoup, j’aime comme ça sonne et comment elle bouge. J’aime aussi ce qu’elle dit et le fait qu’elle alterne le français et l’anglais, c’est très subtil. Elle est vraiment différente. J’ai vu qu’elle sortait son album aux Etats Unis.
Quelle est la chanson de vous que vous préférez ?
Vous me faites le coup du choix de Sophie. Je ne peux pas choisir. Cela fait tellement longtemps que je joue ces chansons.
Vous dites que ça fait quarante ans que vous êtes sur les routes. Vous n’auriez pas pu avoir eu une vie rangée ?
Je n’aurais pas pu en effet. Et ce qui est assommant, c’est que pour pouvoir mener cette vie et à monter sur scène je dois continuer à sortir des disques. Faire des disques, c’est chiant. C’est long, je n’aime pas le studio. Amoureuse, je l’ai fait en une semaine, emballé, pesé. Ça, ça me plait. On avait 8 pistes. A présent on en a 300. On chante 100 000 fois la même phrase et on vous demande : « c’est mieux comme ça ou comme ça ? ». Ça ne m’intéresse pas. Je finis pas dire un truc pour être débarrassée. Catherine Lara, elle par exemple, elle adore le studio, elle sait tout faire. Le studio, c’est d’une précision chirurgicale. Moi j’aime composer, jouer. Je ne fais jamais au delà de six prises. Au delà, je perds toute émotion.
Un biopic sur votre vie est en préparation. Vous l’abordez comment ?
Ça me fait peur. Ça change tout le temps. Je voudrais pas que ca devienne l’histoire de la petite fille aux allumettes. De toute façons cela se fait avec ou sans moi, donc il vaut mieux que j’y participe. Je me méfie de la tentation scénaristique à toujours aller chercher le côté obscur, le drame. J’ai pas envie de nostalgie et qu’on oublie qu’il y a eu de beaux moments et beaucoup de créations.
Vous verriez qui pour jouer votre rôle ?
On a pensé à Alice Taglioni, mais je crois qu’elle ne va pas pouvoir le faire. Vous pensez à qui vous ?
Adèle Haenel.
Ah je vais regarder. Vous n’avez pas une photo ? (on lui montre) Ah oui, elle est bien !
Vous avez joué quelques rôles au cinéma. Vous en gardez un bon souvenir ?
Il y a trop d’attente. Je ne sais pas comment font les acteurs. Mais j’ai joué au début des années 80 dans un film de Boris Bergman, qui se passait dans les égouts. Il n’est jamais sorti. Mais c’était vraiment marrant.
Vous vivez toujours la nuit ?
Oui je suis une nocturne. Je n’aime pas me lever. Même petite, quand je devais à l’école. Je taxais de l’argent à ma mère ou à ses copines pour prendre un taxi et gagner une heure. Et puis j’étais noctambule. J’aime le silence de la nuit. J’ai parfois l’impression d’avoir pris de la drogue tellement c’est puissant. J’aime me coucher aux premières lueurs, quand les gens du jour commencent à s’agiter. Bon je peux aussi aller me coucher à dix heures et demi.
Vous recevez beaucoup de monde ?
Avant, oui tout le temps. Aujourd’hui je suis isolée. Je ne sors presque jamais.
Propos recueillis par Sarah Dahan et Géraldine Sarratia
{"type":"Banniere-Basse"}