Disparu en 1995, le Réunionnais Alain Péters illumine un CD et un DVD qui fêtent l’éternelle jeunesse de ses chansons.
Il y a des musiciens morts que le temps ne cesse d’alléger : il les déleste peu à peu du fardeau de leurs vies en bataille et de leurs destins plombés, pour mieux les ramener à l’essence même de leur art. Longtemps après leur disparition, Nick Drake, Tim Buckley ou Chet Baker ressemblent ainsi de plus en plus à ce qu’ils rêvaient d’être : des hommes aussi aériens que leur musique, jouant et chantant pour l’éternité dans la plénitude de leurs sensations. Il en va de même avec le Réunionnais Alain Péters, qui plia définitivement les gaules en 1995 après une existence faite d’errance et d’errements. Son passage sur terre a laissé l’empreinte d’un être déchiré de l’intérieur, pris entre deux feux, illuminé par l’amour de la musique et consumé par le rhum. Mais aujourd’hui, c’est d’abord la clarté de ses chansons qui inonde le monde des vivants. Et sa voix, désormais, évoque davantage la douce complainte d’un ange que la lourde lamentation d’une âme damnée.
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La musique d’Alain Péters a vraiment commencé à rayonner en 1998, quand le label Takamba a réalisé la compilation Parabolér. Pour Alain Courbis, qui supervisa le collectage des rares traces sonores laissées par cet esprit vagabond, il s’agissait de sauvegarder un répertoire menacé d’oubli. Péters, dont le chant avait la beauté volatile d’un vent de sable, n’était pas homme à graver sa musique dans le marbre. Sorties en 1985 sur cassette, les chansons de Mangé pou le cœur, indépassable sommet de son œuvre, ne doivent ainsi leur existence sur bande qu’à la générosité de Jean-Marie Pirot : ce prof de maths aux oreilles affûtées eut la riche inspiration d’ouvrir son petit home-studio à ce troubadour sans attaches ni plan de carrière.
Dans les années 70, Péters semblait promis à un beau succès : il avait participé au désenclavement sonore de la Réunion au sein de formations pop ou jazz-rock comme Carrousel et Caméléon. Mais brisé par le décès de son père, il allait dévisser, sombrer dans l’alcool et se mettre au ban de la communauté musicale. Portée par une insatiable quête d’élévation spirituelle, son inspiration, pourtant, ne se tarira jamais vraiment. Elle se ressourcera même à l’onde tumultueuse du maloya, l’ancien blues des esclaves réunionnais, que Péters transformera en chanson créole intimiste avec sa takamba (petit luth africain prisé par les griots du Sahel) et des percussions de fortune (notamment des sacs en plastique). Cet art poétique ramené aux proportions d’une souveraine solitude, on peut l’entendre aujourd’hui dans Vavanguèr (« rêveur »), qui reprend les titres de Parabolér et leur ajoute deux inédits – dont la tendrement déchirante Romance pour un zézère.
Mais outre un copieux livret, la grande affaire de cet hommage est le DVD qui l’accompagne. Dans un rare et précieux entretien de 1991, comme dans un documentaire recueillant la parole de ses proches, se dessinent l’exigence et la vulnérabilité d’un homme habité par le pouvoir de la création et désarmé face au réel. Il y a aussi et surtout ces images saisies en 1994 lors d’un concert de reformation de Carrousel – ultime apparition sur scène du Réunionnais. La voix et le corps alourdis par les années de picole, Péters reprend trois de ses titres – dont Rest’ la maloya, son chef-d’œuvre poétique et mélodique – avec un plaisir féroce, presque rageur. « Je ne suis qu’au début de l’escalier, disait-il en 1991, j’essaie de monter avec l’aide du divin. »
Le 12 juillet 1995, alors qu’il semblait proche de la résurrection artistique, Péters s’effondrait dans une rue de Saint-Denis, foudroyé par une crise cardiaque. Mais Vavanguèr prouve qu’il avait bel et bien atteint de son vivant les plus hautes marches de la musique.
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