Star des années 80, 90 et 2000, elle entame sa quatrième décennie au sommet. Bashung, Johnny Depp, « L’Arnacoeur », le désir, l’adolescence : rencontre avec Vanessa Paradis à l’aube de sa tournée mondiale.
L’an prochain, au moment (ou pas) de fêter ses vingt-cinq ans de carrière, elle n’en aura toujours pas 40. Fédérant les faveurs des hipsters comme du grand public, Vanessa Paradis est incontestablement une des plus pérennes stars féminines françaises. Aucun insuccès au cinéma (elle en a eu pourtant pas mal), aucun fléchissement de ventes de disques (Bliss en 2000 n’avait pas atteint ses ambitieux objectifs) n’ont entamé son aura. Ses dernières années, elle a même retrouvé sa « bankabilité », dans la chanson (l’album triomphal Divinidylle) comme au cinéma (les 3,7 millions de spectateurs pour L’Arnacoeur). Qu’est-ce qui peut bien aiguillonner les envies d’une artiste comblée si tôt et si totalement ? Discussion au long cours.
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Entretien > Il y a dix ans sortait l’album Bliss dont on peut dire qu’il marquait un tournant musical pour vous. Tout à coup, vous sembliez davantage au coeur du processus créatif.
Vanessa Paradis – Le disque de la maturité qui commençait. C’était la première fois que j’écrivais des chansons, que je réalisais certains titres : une vraie prise de responsabilité. C’est aussi très agréable de seulement interpréter des chansons.
Vous vous sentiez exaltée ?
Exaltée, je ne sais pas. C’est beaucoup de travail. C’est naturel pour moi de fredonner, d’avoir des mélodies qui m’entrent dans la tête mais je ne suis pas une très bonne musicienne. Je gratouille suffisamment à la guitare pour pouvoir écrire une chanson mais c’est laborieux. Pourtant, je ressens un vrai plaisir d’artisan à fabriquer, même si ce n’est pas facile.
Avez-vous besoin d’être seule pour écrire ?
Pour écrire, oui. Pour composer, pas forcément. Les mélodies peuvent venir et s’installer au milieu du bazar. Avec l’écriture, j’ai beaucoup de mal. Je préférerais faire les deux, comme Bob Dylan par exemple (rires). La musique m’est davantage naturelle mais les textes que j’ai écrits portaient sur des sujets tellement intimes que je ne pouvais pas imaginer quelqu’un d’autre que moi y mettre ses mots. Ça a été tellement long, et pour un résultat qui n’avait rien d’extraordinaire. Ce n’est pas un problème d’inspiration, je sais toujours de quoi j’ai envie de parler. Mais mon écriture, mon style ne me font pas rêver.
Vous tenez des journaux intimes depuis l’adolescence ?
Non. Enfin, j’en ai mais c’est plus récent, plutôt pour exprimer un point de vue de maman… Mais là, c’est trop intime…
Vous imposez-vous une discipline pour écrire ?
Je devrais (rires). J’ai un problème avec le temps de toute façon, je ne sais pas comment on fait pour en trouver. Pourtant, je n’accepte pas trop de choses, même si je disais plus souvent non il y a quelques années. Adolescente, j’ai travaillé énormément, je ne faisais que ça. Entre 25 et 35 ans, j’ai eu envie de ralentir, de m’économiser. J’avais le sentiment d’avoir déjà vécu tant d’expériences professionnelles fortes. Maintenant, peut-être parce que je reçois des propositions vraiment intéressantes, j’enchaîne davantage les projets. Je n’ai pas encore peur de la vieillesse mais je sais quand même que certaines choses qui se présentent ne seront peut-être pas possibles plus tard, qu’il faut les saisir tout de suite.
En période de break, quel est votre rapport à la musique ? Etes-vous toujours en recherche de nouveaux sons ?
Pas en recherche, plutôt en envie. Ça n’a rien de calculé, je laisse les choses venir à moi. Je n’écoute pas tout ce qui sort. Récemment, ma soeur et mon beau-frère m’ont fait écouter plein de disques. Ils étaient sidérés que j’en connaisse si peu ! Mais bon, j’écoute très souvent TSF Jazz, donc c’est normal aussi ! (rires) J’écoute de la musique par plaisir, pas du tout par volontarisme, pour trouver des idées… Il y a quelques mois, j’ai découvert le clip de Janelle Monáe qui m’a sidérée. Son look, le clip, la chanson… elle m’a vraiment donné envie.
Au quotidien, quel est votre rapport physique à la musique ?
Je ne joue pas tous les jours. Peut-être que j’avancerais plus vite si c’était le cas. Mais je fais beaucoup d’autres choses. Je ne subis pas le quotidien de la plupart des gens avec les courses, la cuisine, le ménage… Je suis très assistée dans ce domaine. Mais j’élève mes enfants, je les aide à faire leurs devoirs, je voyage, je fais de la promo, je travaille et du coup je ne trouve pas tous les jours le temps de prendre une guitare, de chercher des compositions…
Et Johnny Depp ?
Lui aussi est très actif mais contrairement à moi, il ne peut pas voir une guitare sans s’en emparer et en jouer. Les instruments traînent partout chez nous…
Vous jouez parfois le soir au coin du feu ?
Oui (silence). Bien sûr.
Vous jouez quoi ?
Des reprises, des standards… Vous entrez trop dans ma vie, là !
Avec l’album Divinidylle puis le film L’Arnacoeur, vous avez connu deux énormes succès ces dernières années, qui ont rompu une série de déceptions commerciales. Quel rapport entretenez-vous avec le succès et l’échec publics ?
L’échec est plus difficile au cinéma : on est triste pour le metteur en scène. En revanche, quand ça fonctionne, c’est jubilatoire. Le succès, c’est comme du champagne, ça part d’un coup, ça vous monte à la tête. Mais il faut tout de suite faire attention, ne pas se laisser enivrer trop longtemps, ne pas céder aux propositions qui soudain affluent… Je ne m’attendais pas au succès de Divinidylle, j’étais soulagée que l’album sorte et solde des années de travail. Je suis assez fataliste. Le succès ou l’échec, c’est très mystérieux et on ne peut jamais l’anticiper.
Et L’Arnacoeur ?
Bien que Romain Duris et moi soyons des personnalités populaires, nous n’étions pas perçus comme des acteurs bankables dans une comédie romantique. Alors aucune chaîne de télé à part Canal+ n’a voulu s’engager sur le film. Le succès a été très réconfortant : il nous donnait raison d’y avoir cru.
Le risque désormais, c’est qu’on vous propose dix comédies romantiques d’affilée…
Je ne cours aucun risque à ce qu’on me propose des choses ! La connerie serait de les accepter. De toute façon, ces succès ne chamboulent pas ma vie. J’ai été très tôt très gâtée, j’ai connu beaucoup de succès et j’ai appris à remettre très vite le compteur à zéro.
Y a-t-il des gens avec qui vous rêvez de travailler ou vous attendez qu’on vienne vers vous ?
Je sais qu’on ne peut pas forcer les choses. C’est un métier qui ne marche qu’au désir, et on parvient rarement à le susciter en prenant les devants. Oui, j’ai des envies mais je préfère les taire, j’aimerais qu’elles soient réciproques. Encore une fois, je suis assez comblée, pas tellement en manque de choses inabouties…
Vous n’avez jamais ressenti de frustration ?
J’ai pu être contrariée par une perception qu’on avait de moi dans le milieu du cinéma. On s’imaginait que parce que je vivais aux Etats-Unis je devenais inaccessible, intéressée uniquement par des projets énormes… Mais parler de souffrance serait un bien grand mot.
Vous avez eu un apprentissage en danse et en chant mais vous avez appris à être actrice sur les plateaux…
C’est vrai. Mais à 14 ans, je n’avais pas une formation énorme en chant. Je chantais pour le plaisir. Même quand je suis passée à L’Ecole des fans pour interpréter Emilie Jolie, je n’avais pas répété. J’adorais cette comédie musicale, je la connaissais par coeur.
Quand on vous demandait alors ce que vous rêviez de faire comme métier, vous répondiez quoi ?
Je ne me souviens plus… Pourtant, c’est le genre de questions qu’on pose à tous les enfants mais je ne me rappelle pas la réponse. J’étais fan des comédies musicales de la MGM mais je ne sais pas si je disais que je serai chanteuse. La danse, je n’y allais que deux fois par semaine, c’était de la danse rythmique, je n’ai jamais mis les pieds dans des pointes… Si c’était une formation, elle était très anarchique et nonchalante. Je n’ai jamais pris de cours de musique. Si, un an et demi de piano. Mais jamais de guitare. C’est mon homme qui m’a appris à jouer de la guitare.
Sur Anthologie 87-2007 sorti l’automne dernier, on peut voir de nombreuses images télévisuelles de vous depuis presque vingt-cinq ans. Quel effet ça vous a fait de vous replonger dans ces souvenirs ?
On a de sacrées surprises (rires). J’avais oublié beaucoup de passages télé. C’est un peu difficile pour moi de revoir les interviews de mes débuts. J’avais vraiment un problème de communication. J’étais soucieuse de ne pas dire n’importe quoi, donc je me cachais derrière une contenance, une froideur un peu flippante. J’avais un aplomb incroyable, un côté buté qui aujourd’hui ne me plaît plus beaucoup. J’étais désagréable…
C’est l’adolescence, non ?
Oui, mais en général on la vit de façon beaucoup moins exposée. Si j’avais été un peu bébête mais spontanée et charmante, j’aurais trouvé ça plus excusable. J’avais tellement peur de laisser échapper des choses que je me protégeais avec ma froideur.
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