Pour l’inauguration de l’espace Louis Vuitton, Vanessa Beecroft repense l’alphabet pour le malletier le plus connu de la galaxie voyage.
J’ai demandé à des femmes de moduler leur corps pour transcrire les lettres Louis Vuitton’, tout en évoquant classicisme et beauté. Certaines d’entre elles évoquent les pilastres des balcons de la Renaissance italienne , livre l’artiste Vanessa Beecroft. Ainsi, mardi 10 janvier, à quatre pas des Champs-Elysées, au septième étage du 60, de la rue Bassano, cette artiste italo-suisse inaugurait le nouvel espace Louis Vuitton ? 400 m2 dévolus à l’art et à l’expression artistiques via murs immaculés, parquet, larges baies ouvertes sur Paris. L’émotion était donc des plus fébrilement hypes pour vernir les images de cette jeune femme née en 1969.
Septième ciel ? Douze grandes photographies (une treizième pour les initiales, voir photo) indépendantes les unes des autres et disposées les unes à côté des autres avaient été agencées pour inscrire sur les murs le nom de la marque. Plus précisément, sur chacune d’elles, et sur fond archi-blanc, quasi immatériel, une lettre se dessine faite d’entrelacs de corps féminins tour à tour peau et visage pâles, noires, roux ; tour à tour corps lourds ou fins, de femme ou d’adolescente perruqués ou non. Police de caractère de famille Elzévir ? bâton ? égyptienne ? écriture ? Cet alphabet de Vanessa Beecroft, un peu particulier mais certainement pas novateur – cliquez ici pour découvrir l’alphabet de 1970 du Hollandais Anthon Beeke ou là pour visualiser un court historique de l’alphabet érotique – a été spécialement concocté pour le malletier le plus connu de la planète voyage ; il s’inspire avant tout, et en droite ligne, de la matière même dont l’artiste, aujourd’hui new-yorkaise et très courrue sur la scène contemporaine, use et abuse pour ses performances : le corps ? et, a fortiori, le corps de la femme. En effet, pour « peindre » ses tableaux dans l’espace, « ce qui m’intéresse, dit-elle, c’est la correspondance entre le fait que les modèles sont des femmes en chair et en os, et leur fonction d’ uvre d’art, mieux de tableaux. »
Ces photos ont de surcroît une histoire : elles font suite à la performance du 9 octobre 2005 donnée par la même artiste pour l’inauguration de la boutique Vuitton (fermée depuis plusieurs mois pour travaux au 100 de l’avenue des Champs-Elysées) et qui alternait soigneusement, entre les malles et autres luxueuses pièces de maroquinerie, des femmes en bikini et talons hauts, assises ou allongées, têtes renversées, pauses indolentes, corps et visages devenant de plus en plus las et fragiles sous l’effet de la fatigue. Avec ces femmes à demi-nues, baignées de luxe impassibles et lointaines, et aux gestes toujours lents flirtant avec un je-ne-sais-quoi de (im)mobilité extrême et raffinée, l’effet avait de quoi être de taille : un c’ur, un épiderme battaient soudainement entre le luxe inanimé. Le luxe a-il donc une âme ? Une âme toute féminine et nue venue ?
Plus sérieusement, et concernant cette fois l’artiste : les performances de Vanessa Beecroft investissaient jusque-là un espace dit « d’expo » (musée, galerie). Donc, que viennent faire, ses jeunes femmes réduites comme d’hab au plus simple de leur appareil moteur en plein c’ur d’un magasin ?
Un rappel historique ici s’impose. Vanessa Beecroft travaille sur cette confrontation corps féminin/représentation picturale et sociale depuis 1993 (de Venise à New York, de Gênes à Cologne). Pour ce faire, elle sélectionne toujours avec grand soin son « matériau » qu’elle place ensuite, sous forme de performance, dans des lieux publics ? on l’a dit, ce sont les galeries et musées. Les corps sont toujours morphologiquement choisis, donc signifiants, l’enveloppe charnelle choisie étant rarement laide ; ils ont ensuite la consigne de rester inactifs (assis, debout, allongés, nus ou habillés) ; de juste prendre part et place pour une ou deux heures ; de juste habiter ou ourler l’espace de leur corps, de leur souffle, de leur humanité. De laisser choir, sans peur ni reproche sous le sceau de la lumière, la sueur et l’ennui. Ce serait un peu l’idée d’aller aux confins d’un corps pris au piège de la représentation, l’idée d’un corps féminin absolument modelé physiquement par le social. De ces performances toujours étranges et pénétrantes, photos et vidéos en gardent la trace.
Avec son « Alphabet Concept » pour Louis Vuitton, il semble toutefois s’agir d’autre chose. En effet ici, les photographies de Vanessa Beecroft ne sont pas la trace d’une quelconque performance. Plutôt le rappel et la continuité marketing d’un événement ? voire de se réapproprier (contrôler à nouveau) totalement sa propre image, clean et d’un beige irrésolu et sans histoire, après sa collaboration barriolée avec Takashi Murakami. En tout cas, ici, pas d’épiderme qui vibre ou de regard touchant de fatigue ou d’ennui : tout a été shooté en studio puis retravaillé : aseptisé. Seule la lettre « o » échapperait peut-être à ce contrôle extrême de l’image glacée et sans vie. Sorte de ballet circulaire noble et imperceptiblement féerique.
Mais que Vuitton se rassure : en ouvrant un tel espace d’exposition dévolu à l’art et l’expression contemporains, il continue et permet le débat et la critique. Donc, de faire avancer les choses, tant il est vrai que le mot « art » renvoie de façon intime et intérieure à la notion de voyage.
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