Depuis cinq ans, l’Italienne Vanessa Beecroft montre des filles dans les musées, nues de préférence et prises dans d’étranges chorégraphies immobiles. Est-ce bien correct ?
« En fait, c’est une séance de torture… », commentaire d’ami glissé à l’oreille au sortir d’une projection pas comme les autres. Trente minutes de femmes immobiles, juchées sur des talons, le sexe pris dans des micro-maillots Gucci à paillettes ou carrément nues, debout pendant plus de deux heures et demie devant un parterre d’invités au musée Guggenheim de New York. Un court métrage théâtral, filmé par Doug Aitken et montré à la Fondation Cartier il y a quelques jours. Performance choc, un peu chic (pour cause de sponsor de luxe) mais loin d’être unique.
Depuis cinq ans, Vanessa Beecroft, 29 ans, organise ainsi d’étranges chorégraphies immobiles, dans un joyeux mélange d’appréhension et de cruauté. Tout a commencé à Milan, en 93. En guise de diplôme de fin d’études, la belle Italienne invite trente élèves (toutes des filles) à venir voir son exposition post-diplôme de dessins, habillées de couleurs vives. Des grandes, des boulimiques, des anorexiques… des hors norme, pas comme elle, fine blonde au sourire malicieux. « Je voulais voir si les gens remarqueraient qu’elles étaient différentes des autres, qu’elles avaient quelque chose à part. » Expérience probante. Depuis, Beecroft a multiplié ces interventions, avec un principe affiné au fil des tentatives : « La première fois, les filles parlaient, ça marchait moins bien. Pour la deuxième expérience, j’ai invité trois femmes avec des perruques à rester devant mes dessins. Elles étaient très maigres avec des cheveux très rouges. Je les vois comme des images, pas comme de véritables femmes. Je voulais qu’elles ressemblent à mes dessins. »
Il y eut ensuite trente blondes en Allemagne, les Blacks à Chicago, les bourgeoises à Paris, les topless à Cologne… Une énumération de silhouettes, d’attitudes et de caractéristiques physiques adaptées au pays d’accueil. Les filles de Beecroft portent les attributs d’une féminité hautaine et douloureuse : longues jambes, hauts talons, maigreur à la Twiggy, maquillage lourd, peau fardée jusqu’à ressembler à d’étranges sculptures vivantes. Recrutées conformément aux critères esthétiques donnés par l’artiste, elles reçoivent toutes les mêmes consignes : « Ne parlez pas, ne riez pas, soyez distantes, ayez l’air fortes, ne bougez pas trop vite. » Résultat : au bout de deux heures dans l’entrée du Guggenheim en avril dernier, les petits soldats de Beecroft ressemblaient à de vieilles petites filles engourdies. Mise en scène un rien perverse de l’artiste, qui refuse d’expliciter sa démarche aux participantes. « Elles me font peur, lâche-t-elle face aux photos prises pendant la performance. Elles sont belles… J’ai toujours été intimidée par le pouvoir des femmes et celles-ci sont très mystérieuses. Je ne comprends pas à quoi elles sont destinées. Elles sont un peu mes gardes du corps. Une fille est venue exprès de Stockholm pour la performance de New York, je n’ai pas pu lui adresser la parole. » La terreur en question, dont le portrait est à la galerie Ghislaine Hussenot pour encore une semaine, affiche le même regard atemporel que ses compagnes. « J’aime que ces filles ressemblent aux femmes des portraits de la Renaissance. Pour moi, ces performances ne sont pas tant des happenings que des tableaux, régis par une composition et des dégradés de couleurs. » Des femmes qu’elle veut dominatrices et séduisantes alors que certains qualifient ces performances de « fascistes et incorrectes ». Dressée sur des mules de pin-up et serrée dans une courte robe, Beecroft sourit à l’énoncé des critiques, dit comprendre les accusation de misogynie et de voyeurisme mais refuse les interprétations sociologiques de son travail. Aux Etats-Unis, sa prochaine performance invitera des marins à la plus étrange parade militaire : la formation d’un cube blanc dans un lieu d’art contemporain. Sa première intervention avec des hommes, pour répondre à l’obsession militaire des Américains. Et soudain, elle se fait très sérieuse : « Ils croient vraiment qu’ils peuvent sauver le monde. »
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