Pour Valérie Leulliot, l’après Autour de Lucie n’a pas été sabbatique. Les trois ans qui se sont écoulés depuis le dernier album du groupe ont servi à transiter en douceur vers un autre régime d’écriture, à deux. Les chansons de Caldeira jouent le chaud et le froid, soufflent quelques bougies et fêtent des retrouvailles très attendues. A cette occasion, l’intéressé répond à nos questions et vous propose de voir le clip de Mon homme blessé
Trois ans après le quatrième album d’Autour de Lucie, Valérie Leulliot revient donc avec un album solo composé à quatre mains avec son alter ego musical Sébastien Lafargue. Il y a quelques jours, Valérie nous invitait à visiter son petit studio, sorte d’îlot posé au pied de la bute Montmartre. L’occasion d’inspecter l’envers du décor de Caldeira, album paysagiste et thermique, acoustique et utérin, gorgé de guitares liquides et de chœurs au souffle long, entre L’Horizon de Dominique A et la sensualité vaporeuse de Hope Sandoval. Une étape de plus pour la française qui, en mettant fin à son ancien groupe, n’a refermé aucune porte sur elle.
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Avec Sébastien Lafargue, vous venez de passer un an et demi dans l’unique pièce de ce studio pour donner naissance à Caldeira. Comment le projet a-t-il pris forme ?
Valérie Leulliot : Sébastien faisait partie de la dernière mouture d’Autour de Lucie, et on a commencé à composer ensemble en tournée, entre deux balances, sans projet d’album. Quand la tournée s’est arrêtée, on s’est rendu compte qu’on avait envie d’aller plus loin. On s’est isolé dans cette petite pièce. On s’est installé en janvier 2005 et on est allé mixer le disque en Belgique en février 2006.
Par quelles phases es-tu passée pour aboutir à l’idée d’un album ?
C’est un processus assez doux. Sébastien écrivait beaucoup de musiques, moi j’avais des textes. Ensuite il faut voir comment l’alchimie s’opère entre les deux. On s’est assez vite retrouvé avec une quinzaine de titres.
Quel rôle Sébastien Lafargue a-t-il joué sur ce disque ?
Il était bassiste du groupe en 2004, mais avait aussi arrangé deux morceaux sur l’album d’avant. Il avait à son actif pas mal de productions electro et avait fait un remix pour Autour de Lucie. J’aimais l’idée que son background musical soit différent. Il était dans la soul, le folk et comme j’avais envie d’un album moins structuré, plus atmosphérique, plus intimiste puisque je sortais d’un disque très arrangé avec beaucoup d’intervenants, ça collait parfaitement.
On passe donc d’une structure de groupe à une structure de couple. As-tu ressenti le besoin de travailler seule ?
Non parce que j’ai trouvé un alter ego musical qui m inspirait. Ses musiques et mes textes étaient en libre circulation. Il faudrait être fou pour aller contre ça. Au tout début, j’enregistrais seule sur quatre pistes. Ca m a traversé l’esprit dernièrement de refaire des choses comme ça. Le fait d’arrêter le groupe a été perturbant. J’avais passé dix ans en groupe et je ne voulais pas rester seule. Je ne dis pas qu’Autour de Lucie est définitivement de l’histoire ancienne non plus. Mais là, j’avais besoin d’autre chose : me recentrer sur le chant en laissant la part musicale à Sébastien. J’ai pris des cours de chant. La voix est un instrument fretless et je voulais mieux le contrôler. On a fait des chœurs assez techniques avec des harmonisations qui nécessitent du souffle et qui remplaçaient les orgues habituels.
Ces dernières années, les disques basés sur la voix sont nombreux, de Björk à Camille en passant par Coco Rosie et Thom Yorke sur son album solo.
J’adore le dernier album de Thom Yorke. Je le trouve très torturé et très loin de tout. Lui aussi a fait un ?œdisque solo en duo ? finalement puisque Nigel Godrich avait une vision pour lui. Il a dû se perdre dans l’aspect commercial de Radiohead et en faisant son disque seul, il prouve qu’il est libre et qu’il n’écoute que lui. C’est ce qu’on retrouve chez Camille et chez Björk ou chez des gens comme Elliott Smith, cette sorte de fragilité complètement assumée. C’est aussi cette émotion que j’essaie de proposer aux gens. Je ne cherche ni la prouesse technique ni l’énergie pure. Je connais les forces et les faiblesses de mon instrument. Très peu de gens sont capables de s’écouter et de dire : ??moi j’ai envie de faire ça et je vous emmerde??. Ceux qui font fi de l’extérieur ont une grande force. On me dit que Caldeira est un disque très lent, très intimiste, et je réponds que je suis en phase avec mon rythme et que ce rythme n’a jamais été en phase avec le rythme autour de moi. Plus le monde s’accélère et plus je persiste dans ma lenteur d’apesanteur. La musique c’est des humeurs.
Il faut être à l’écoute sur tout le disque, sinon on passe à côté.
Il y a un temps d’acclimatation de deux ou trois morceaux je pense.
Le texte de Mon Homme Blessé a été écrit par Miossec. Pourquoi as-tu choisi d’ouvrir l’album sur ce morceau ?
C’est plutôt une suggestion de la maison de disque pour marquer une rupture avec Autour de Lucie ? alors qu’en fait c’est la prolongation du groupe ?, car Miossec écrit des textes à la découpe très différente de la mienne, plus brute et directe. J’ai plus ou moins organisé la tracklist en remontant du dernier morceau Pyromane. Miossec est dans le rythme alors que je suis contemplative, dans l’épure. Il n’a mis que deux ou trois jours à renvoyer un texte sur la musique.
Est-ce que Miossec chante sur une musique préexistante lorsqu’il renvoie un texte ?
Il a renvoyé une page avec deux ou trois couplés très longs, on s’est parlé au téléphone, il avait des idées pour le chant, et j’ai cherché. Il bosse beaucoup sur la répétition. C’est un genre de slameur avant la mode. On voulait quelque chose de plus parlé. Ce morceau a vraiment été fait à trois. Je recherche beaucoup la fraîcheur, c’est pourquoi j’ai toujours fait entrer les univers musicaux de différents intervenants dans le groupe. J’aime déplacer la focale pour avoir de la distance.
Quelles ont été les raisons pour ne pas faire un cinquième disque d’Autour de Lucie ?
J’ai fait le premier album avec Fabrice Dumont. Le deuxième à trois avec Jean-Pierre Ensuque, le troisième avec Fabrice et Jean-Pierre. Puis Fabrice a monté Télépopmusik et ça a modifié l’équilibre. Il est parti vivre à Barcelone. J’ai rencontré Fred Fortuny que j’ai intégré au clavier au groupe. Il avait ce côté variété américaine des années 70 qui me plaisait. On n’a pas eu les retours escomptés et je sentais que le truc n’était plus là, que ça s’effilochait.
Quand un fan a en tête le mythe d’un groupe, il peut avoir du mal à accepter que les musiciens vieillissent, qu’ils déménagent, qu’ils fassent autre chose. Le mot split marque cette idée de coupe qui advient rarement de manière aussi nette en réalité.
On a une idée figée dans le temps d’un groupe. Je suis encore en contact avec Fabrice qui habite à New York et prépare le nouveau Télépopmusik, et si ça se trouve on travaillera à nouveau ensemble. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour R.E.M. et Sonic Youth qui assument leur passé. Leurs chansons n’ont pas pris une ride, ils sont toujours magnifiques, ce sont des aventures d’une vie sublimes. On ne peux pas figer des gens qui surfent sur plusieurs vagues. La musique est une question d’envie. Je suis autodidacte, donc je marche au frisson et au côté ludique. Thom Yorke et Björk, ont gardé cet esprit du jeu. Johnny Cash a gardé tout son vécu jusqu’à la fin dans la voix. L’industrie du disque vous oblige à sortir des disques. Mais on devrait pouvoir se taire pendant quinze ans et voyager s’il le faut.
Quel est le sens du mot Caldeira ?
Une nuit d’insomnie, je regardais un documentaire sur Planète et je suis tombé sur une émission sur le phénomène de la caldeira, qui est un effondrement du volcan par l’intérieur. Ça forme des cratères, si de l’eau tombe, ça fait une piscine, c’est la lune. Comme je suis très sensible aux paysages, ça m a marquée, et j’ai écrit le morceau. Il y a cette dichotomie entre dépression volcanique et chaleur, les morceaux Pyromane, Un c’ur gelé, les sonorités sont chaudes, sensuelles, le mot est beau : il signifie ? chaudron’? en portugais. Maintenant tout le monde saura ce que c’est.
Tu as fait des voyages qui t ont inspirée ?
Je suis attirée par les îles. Je connais bien la Corse. Je suis allé à Belle-Île. J’aimerais retourner en Irlande ; Je recherche le choc émotionnel et visuel d’un paysage. Je ne regarde plus que des documentaires là dessus à la télé. Tu es à la fois dans le monde et coupé du monde, dans une planète sur la planète.
Sites : www.myspace.com/valerieleulliot et www.villagevert.com
Avec l’aimable autorisation de Village Vert
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