Folie de la langue qui traque la non-langue. Valère Novarina nous embarque dans sa dinguerie. Du rire au fou rire. Surprise.
On était partie tranquille à ce rendez-vous régulier que nous donne Valère Novarina depuis quelques années ; théâtre écrit et mis en scène par ses soins ou ceux de quelques autres, dont la clairvoyante Claude Buchwald. Enveloppée de souvenirs, depuis la découverte de cette langue unique proférée par André Marcon dans Le Discours aux animaux (1987), jusqu’à ces airs de guinguette insouciante et lugubre qui résonnaient dans L’Opérette imaginaire (1998), on s’attendait à retrouver les « décors » peints par l’auteur, ces coulées colorées sur le sol ou sur les murs, figures sans modèles, tracés sans contours comme un équivalent visuel du torrent de paroles et de noms, d’invectives et de prophéties qui s’échappent des acteurs, de leurs bouches et de leurs mains, de leurs pieds et de leur ventre, de partout où la vie s’insinue et s’écoule, sans relâche. Autant dire qu’on y allait comme en terrain conquis, se régalant déjà de voir et d’entendre Michel Baudinat, André Marcon, Dominique Pinon, Agnès Sourdillon, Valérie Vinci, Daniel Znyk et tous les autres.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Et puis, surprise, onde de choc : tout y est, rien ne manque si ce n’est que l’ensemble chavire sous la poussée drolatique qui s’est emparée de la plume de Novarina, du geste des acteurs et des sages accessoires à l’emploi explosif. Du rire au fou rire, on ne lâche plus la bride, on se sent embarqué, valdingué plus exactement, tant la secousse causée par un telle dinguerie nous laisse sur le flanc. Quel ring ! Quelle folie de la langue qui traque la non-langue, celle qu’on nous sert à longueur de journée, à la télé ou à la radio, avec des mots spéciaux, moules de non-sens qui se voudraient communicants (« Ah ! la plénitude du vide devant le rien », susurre Jean Terrier…), des noms propres qui ne désignent qu’un micro, celui de l’envoyé spécial qui fait trépasser l’info et nous la tend, quand même, dépouille ni réelle ni imaginaire… autre, étrangère, lointaine !
Petit extrait de la pièce : « L’opération Jean-Jacques Rousseau a pris fin. Les observateurs dûment mandatés ont constaté caméra au poing les exactions commises à l’encontre des forces humanitaires dans la zone tampon ! Et ce, sans entamer la valabilité des propositions tangibles pouvant leur être opposées ni sans altérer la pensabilité des concepts, la palpabilité des espèces sonnantes et trébuchantes, la jourdhabilité du jour d’aujourd’hui, ni mettre un terme à la mortalité des défunts portés disparus. Tout en soulignant l’infaisabilité d’une bonne partie du possible. Il pleut sur Loudun, Remscheid, Séville, Dakar, Carcassonne et Remscheid. (…) »
Pas le moindre temps mort, les mots et les personnes défilent au pas de charge. Finalement, ce « précipité » de pensée et d’impensée où nous fait chavirer L’Origine rouge, pour insolent et blasphématoire qu’il soit, rend compte d’un insatiable souci de la langue : « Il n’y a pas d’affaire au monde plus sérieuse que le langage », insiste Valère Novarina. Pour parvenir à ce « déséquilibre dansé » et à cette « inquiétude des langues en mouvement », les acteurs s’engagent à fond, corps-mémoire-parole, tout l’appareil de jeu poussé à sa puissance maximale.
{"type":"Banniere-Basse"}