L’Avant-dernier des hommes , de Valère Novarina, prend corps sous les baguettes magiques de Merlin et Buchvald.
Valère Novarina fait partie de ces auteurs qui réinventent la langue, s’amusent de la grammaire, déjouent les pièges de l’accord et autres problématiques du Bled. Il invente une langue brute, comme Dubuffet et Gaston Chaissac inventaient l’art brut. Lui bricole les mots, sculpte les verbes et donne à lire et à entendre les péripéties de tout un tas de « Jean » sans nom, sans terre ou sans visage. Le metteur en scène Claude Buchvald a plongé dans ce magma logorrhéique et travaille depuis cinq ans à lui donner le corps qu’il mérite. Vous qui habitez le Temps était la première mise en scène où l’on découvrait ébahi que Novarina, on le comprenait presque parfaitement. Elle réitère aujourd’hui la performance avec L’Avant-dernier des hommes.
Imaginez un vrai type, de ceux que l’on caractérise comme étant dans la lune. Le regard brillant de toutes les idées qu’il peut bien avoir en tête et de la douce folie qui le gouverne. Un gars comme ça communique avec Dieu en morse, et raconte toute sa généalogie à un tas de vieux élastiques pourris. Cet homme-là, c’est Claude Merlin, troll du verbe, incroyable magicien de l’univers joyeusement pété de Novarina. Il se bat avec le vent, trouve les équilibres d’improbables mouvements de taï-chi, engueule cordialement la terre, cherche toujours un bout de ce qui lui manque, et s’amuse comme un fou. Avec la joie des gosses qui s’inventent le père Noël en même temps que le père Fouettard et qui ont beaucoup plus confiance dans le répondant d’une chaussure qu’en ce qu’on devrait appeler les hommes, Merlin nous entraîne dans des paysages aux noms qui sentent le trou paumé. Et si François d’Assise parlait aux oiseaux, lui parle avec le même talent aux orties.
Tout est dépouillé dans ce spectacle dont le fil ne tient qu’à l’acteur et à l’intelligence de la mise en scène. Les murs de brique du lieu, marqués par le temps, sont un décor naturel parfait, et l’avant-dernier des hommes n’a pas grand-chose à trimbaler dans son sac. Quelques bouts de ferraille, de papier, on croit reconnaître une carte d’identité, dernier symbole d’une attache à une civilisation dite moderne. En véritables explorateurs de terrains encore assez peu visités, Claude Buchvald et Claude Merlin défrichent, sans craindre le pur bon sens. Quand « Jean sans nom » dit tousser trois fois, il tousse effectivement trois fois, il n’y a pas de triple degré masqué. La langue est suffisamment complexe sans avoir besoin d’en rajouter et ils s’appliquent au contraire à la rendre parfaitement claire.
Claude Buchvald explique qu’« il y a quarante ans personne ne serait allé en Amazonie en vacances, de la même manière on trouvait Beckett insupportable. Aujourd’hui, Novarina a cette longueur d’avance-là. Il faut le découvrir comme on découvre une terre, s’en saisir. Travailler les textes de Novarina, c’est accepter de redevenir des enfants, se rappeler comment on parle aux choses. Ça n’est pas plus compliqué que ça. » L’écriture de Novarina est physique, on sent derrière les mots, véritables prolongements de l’action, l’auteur qui mouille sa chemise en les écrivant. Jouer Novarina demande une condition physique parfaite. Une heure de joute avec l’avant-dernier des hommes, l’acteur est en nage, les mots lui sortent par les pores et ruissellent. Le combat est mené à parfaite égalité.
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L’Avant-dernier des hommes de Valère Novarina, mise en scène de Claude Buchvald et Claude Merlin.
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