Révélée par la pub, l’Anglaise V. V. Brown débarque avec un album rétro-pop réjouissant et promis au carton international. Sous la coiffure pompadour, une tête bien pleine.
[attachment id=298]C’est le genre de fille qui vous balance, en éteignant brutalement le sourire caramel avec lequel elle a jusqu’ici pommadé la conversation : “J’ai écrit tous les textes de mon album à l’attention d’un imbécile, un trou du cul dont j’étais follement amoureuse et qui s’est comporté comme un porc avec moi.” En 2008, V.V. Brown exécute froidement sa vengeance à travers Crying Blood, premier single détonateur qui ressemble à un morceau fuselé de la BO d’American Graffiti embouti à l’arrière par le Rockafeller Skank de Fatboy Slim.
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Parfaite bande-annonce de sa musique, son physique de longue plante exotique surmontée d’une pompadour fifties participe du même carambolage astucieux de styles et d’époques. En France, pourtant, c’est par un moyen aveugle que l’on fit connaissance avec V.V. Brown, dont on ignorait même le nom, lorsque son imparable Leave! fut choisi l’an dernier pour illustrer la campagne publicitaire d’une compagnie bancaire matraquée des mois durant.
Le genre d’intronisation par la force qui peut rapporter gros mais ruiner au passage tout plan de carrière un peu subtil. Or Vanessa Brown, Anglaise de 27 ans née d’une mère jamaïcaine et d’un père portoricain, n’a rien d’une poupée de cire déjà consumée avant même d’avoir flambé. Malgré le titre dont elle a choisi d’affubler l’impressionnante réserve à tubes que constitue son premier album, Travelling Like the Light, ne voir en elle qu’une comète de plus dans la buzzosphère serait une belle erreur.
Car avant de réaliser l’album qui lui collerait parfaitement au teint, et dont elle a maîtrisé chaque seconde en assurant seule toutes les parties instrumentales, vocales ainsi que la spectaculaire production, V.V. Brown a été la proie consentante de mirages autrement plus aveuglants, dont elle a su s’échapper grâce à un flair et des convictions qui désormais lui servent d’armure. A 19 ans, par exemple, elle annonce à ses parents qu’elle souhaite interrompre de brillantes études d’avocate à Oxford pour tenter sa chance dans la musique en quittant Londres pour Los Angeles, où un label lui promet une carrière de diva r’n’b comme en rêvent toutes les apprenties Rihanna. Toutes, mais pas elle.
“Sur place, je me suis rendu compte très vite qu’il s’agissait d’une impasse. J’ai tenu trois ans avant de repartir pour Londres, accompagnée d’une dépression carabinée. J’ai étudié le piano à l’âge de 5 ans, j’ai commencé à écrire des chansons peu après, j’ai joué de la trompette, chanté tous les dimanches à l’église et écouté dans les moindres détails les disques de Billie Holiday et d’Ella Fitzgerald, ce n’était pas pour me laisser transformer en chanteuse r’n’b. J’aime bien Beyoncé mais je rêve vraiment d’autre chose.”
A Hollywood, elle tue le temps en distribuant sous le pseudonyme Geeki des chansons aux Pussycat Dolls et autres Sugarbabes dont les états d’âme sont moins scrupuleux que les siens. De retour à la case londonienne, et alors qu’elle commence à publier quelques titres sur son MySpace, c’est ni plus ni moins l’ogre P. Diddy qui tente à son tour d’en faire sa chose et la convoque à New York pour un showcase privé et une avalanche de promesses bling-bling à la clé. Une nouvelle fois, elle décline cette offre “que personne n’aurait pu refuser” mais en reçoit une autre beaucoup plus en phase avec ses attentes.
“Lorsque le label Island s’est manifesté, j’ai pensé à ce fabuleux catalogue où l’on trouve des gens comme Bob Marley, Grace Jones, Amy Winehouse et j’ai compris que cette maison était faite pour moi. Le succès d’Amy Winehouse fut un réel encouragement à un moment où j’étais encore en plein doute. Comme moi, elle a écouté du jazz, de la soul, et elle est parvenue à transformer ces influences en un langage personnel qui a su de surcroît toucher un large public.”
Dans la longue famille des chanteuses piquées d’un fort caractère, qui va de Neneh Cherry à Lily Allen, V.V. Brown fait encore figure de benjamine. A la maison, elle est en revanche l’aînée de six enfants élevés à la campagne près de Northampton par des parents étrangers au monde de l’art. Sa mère dirige l’école du patelin et cumule l’enseignement de la philo et de l’histoire alors que son père se charge de l’éducation physique. “Je suis désolée, ce n’est pas très vendeur mais j’ai vécu une enfance idyllique, entourée de fermes et d’animaux comme dans un film, avec des parents amoureux l’un de d’autre depuis le premier jour. J’étais douée pour les études, j’avais les meilleures notes et je n’ai jamais eu le moindre problème avec l’autorité. Mon seul défaut, c’était de demander sans cesse “pourquoi” à propos de tout, ce qui devenait parfois pénible pour mon entourage. La musique est devenue très tôt une affaire extrêmement sérieuse à mes yeux. Ce n’est qu’à l’adolescence que j’ai commencé à écouter de la pop, à cet âge où il faut forcément avoir l’air cool, surtout auprès des garçons. Avant ça, il n’y avait que Beethoven, Bach ou Aretha qui trouvaient grâce à mes oreilles.”
Chez d’autres, ce discours d’élève surdouée passerait vite pour un vernis opportunément fabriqué pour corrompre l’image de la jolie fille taille mannequin qui flippe à l’idée que sa plastique ne la catalogue automatiquement au rayon cruche. Mais lorsqu’elle se lance avec aplomb dans l’explication des méthodes que Stravinski utilisait pour faire passer des idées musicales dissonantes à l’intérieur d’une partition sous contrôle stalinien, pour mieux démontrer qu’à son niveau à elle, ses textes au vitriol enrobés dans le sucre sont une façon de véroler la pop de l’intérieur, on ne peut qu’admirer le raisonnement.
[attachment id=298]Quand elle cite Jackson Pollock comme modèle à sa manière de produire ses chansons par touches explosives et fulgurances intuitives, on hésite à lui opposer banalement un Phil Spector nettement moins pertinent. Travelling Like the Light, sorti l’an dernier en Angleterre mais désormais parti à la conquête du monde, ressemble à une réjouissante fête foraine pop’n’roll dont les pommes d’amour auraient toutefois le goût de l’acide et la barbapapa l’effet du poison.
Remontée comme une pendule, langue de vipère et cordes vocales amphétaminées, V.V. Brown aime la dégomme et le bubblegum, retrouve parfois l’insolence des girls bands sixties façon Shangri-Las et s’aventure même de manière subliminale dans le glitter à la Suzy Quatro. Il y a tout ceci dans son disque, dont l’écoute intensive peut d’ailleurs épuiser sous le poids des informations qui crépitent comme dans un jeu vidéo, car elle revendique avec autant de foi l’influence des sons Nintendo et une approche résolument ludique de la mise en scène musicale.
Au rayon ballades (I Love You), c’est un signe : elle est nulle. Lorsqu’on lui demande de définir une bonne chanson, elle se positionne en mode shuffle et mélange Billie Holiday (Strange Fruit), Ryuichi Sakamoto (Endless Flight), Blur (Song 2) et Beyoncé (Crazy in Love). On la retrouve alors gourmande et décomplexée comme son disque sur lequel pulse en arrière-plan quelques décorations caribéennes traitées à la mode urbaine anglaise. “Mes parents ont débarqué très jeunes en Angleterre, je ne connais presque rien de mes racines, même si la musique jamaïcaine a toujours tourné à la maison. Je suis avant tout une citoyenne noire britannique.”
Aguichée par le monde de la mode, elle a signé un contrat de mannequin et déjà posé dans Vogue où son image rétro- pop colle parfaitement à l’époque – elle a par ailleurs ouvert un site de vente de vêtements vintage. Dernièrement, elle incarnait – après Twiggy ou Danii Minogue – la femme Marks & Spencer. Dans ce tourbillon qui commence à monter en tornade, et pour se protéger des requins (Shark in the Water, du nom d’un de ses plus brillants singles), elle a consigné quelques idées sur la célébrité et ses pièges dans un roman graphique qu’elle publiera bientôt en collaboration avec le dessinateur David Allain.
“Je ne me sens pas plus de légitimité à devenir célèbre et adulée qu’un journaliste, un réceptionniste, un avocat ou n’importe qui d’autre, tout ça est très perturbant pour moi”, dit-elle, un peu démago mais sans doute sincère. Elle a donc entrepris de demander à chaque fan qui l’aborderait pour obtenir un autographe de lui signer également une dédicace en retour : “J’aimerais exposer toutes ces dédicaces anonymes un jour dans une galerie d’art sous le titre “Qu’est-ce que la célébrité ?” Andy Warhol aurait adoré V.V. Brown.
Album : Travelling Like the Light (Island/AZ/Universal)
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