Usé, farouchement indépendant, joue du rock hirsute, dangereux, subversif et malfaisant. Du rock, quoi.
Ratatiné. Dématé. Déglingué. Fatigué. Epuisé. Défoncé. Non, aucun n’allait. Trop longs pour une bouche au bord de l’extinction, qui dialogue en soupirs, ou alors en rafales quand vient l’insurrection. Ça sera Usé. Nom-slogan pour un groupe qui n’en est pas un.
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Derrière ce patronyme parfait pour cette musique précaire, lessivée, se cache Nicolas Belvalette, fédérateur de rock cassé à Amiens, aux manettes du lieu alternatif l’Accueil froid, égérie (à ne surtout pas confondre avec “et j’ai ri”) d’un réseau hexagonal de salles/squats qui n’ont jamais vu une subvention, un officiel, un journaliste…
Un itinéraire-bis de la France d’en-bas
On lui demande de décrire sa musique, son désespoir halluciné, il parle de “l’esprit nuke”, continue : “Tribal/indus/punk/dance/transe avec une touche d’amour et de désespoir.” On lui dit qu’on aimerait savoir comment s’exprimerait cette tension, cette violence s’il n’avait pas la musique.
Il pirouette à nouveau. “T’as déja vu Café Flesh (film culte et cul de SF postapocalypse – ndlr) ? Ne plus pouvoir atteindre la jouissance et le soulagement ! Je pense que je serais comme eux.”
Dans son itinéraire-bis de la France d’en-bas, d’au-fond, de la mort dans l’âme et de l’indignation bagarreuse, il croise logiquement Jessica93 ou Noir Boy George, le genre de groupes à cran (d’arrêt) qui insultent ce journal quand il a le malheur de divulguer, d’exposer à des lecteurs ses secrets de caves et sa radicalité fumante.
Usé n’utilise qu’un accord, le triture, le torture
Des groupes qui collaborent, enlassent à l’occasion leurs idées noires et sons à peine plus clairs. Vous voulez savoir qui joue dans cette salle de l’Accueil froid, sans cesse menacée, désormais reléguée en zone industrielle d’Amiens ? Donneger, Krinator, Les Morts Vont Bien, Judas, Geist Bist Du Da, Mr Marcaille ou Delacave. Le top 50.
Cette musique sonne comme si une botte épaisse marchait sur la patte d’un chien dans la boue
Ces groupes savent qu’ils ne gagneront pas, ils n’ont donc peur de rien, n’ont rien de plus à perdre. Lou Reed disait qu’au-delà de trois accords, le rock devenait du jazz. Usé, lui, n’en utilise qu’un, le tabasse plus qu’il ne le joue, le triture, le torture. Il y a de la guitare, un synthé, un piano : tous viennent de chez La Trocante et n’en mènent pas large.
L’album s’appelle Chien d’la casse, le surnom qu’avait donné un copain à Nicolas. Et souvent, cette musique sonne comme si une botte épaisse marchait sur la patte d’un chien dans la boue. “Mon instrument principal est la guitare. J’allais aux Nouvelles Galeries rayon jouet et je me suis entraîné pendant un an, raconte Nicolas. Je n’avais pas l’argent pour m’acheter une guitare et ma mère ne voulait pas.”
C’est pourtant la batterie qui est à l’honneur sur la pochette. Et sur le disque, où elle possède son propre plan de vol. C’est celui d’un bombardier, en rase-mottes assourdissant.
Electricité alternative et furieuse
Dans ce carnage, la voix tente de faire la belle, et elle dit des choses terribles, comme “Enfermé dans cette piaule/à boire toute cette gnôle”, en mantra dégueulasse mais si réjouissant dans l’aseptisation généralisée des musiques électriques, dont on a de plus en plus l’impression qu’elles jouent sur les piles fatiguées de l’humanité.
Là, l’électricité est alternative, comme à l’époque où les Bérus détournaient le système (D et autres) à des fins politiques, subversives. On entend les hurlements, les indignations, les abandons catastrophiques et les médicaments que le rock ou le rap ne touchent même plus – trop sale, trop risqué, trop sulfureux.
Si ce rock semble si furieux de vivre, et en même temps si fragile, tellement patraque, c’est peut-être que Nicolas a croisé plusieurs fois le malheur, la mort même – et sa transe se nourrit de ces expériences de corps abîmé, menacé, dont il parle avec pudeur.
Usé chante en traînant des pieds
“J’ai déjà été à deux doigts de rester paralysé… Donc je dirais que la musique est un besoin, une nécessité et surtout une envie. Je n’ai pas d’ambitions, j’ai des envies… Des envies de créer, mais je pense que les gens qui sont passés au moins une fois à côté de la mort doivent ressentir ce que je ressens.”
“J’aime beaucoup la chanson de Costes qui raconte que seule la musique est un soulagement, voilà comment je me sers d’elle. Pour les mots, j’écris ce que je ressens, il y a beaucoup de vécu, des ambiances de fin de soirée… J’ai un carnet dans lequel j’écris mes chansons, mais contrairement à certains, je pense vraiment être très nul en écriture.”
Usé chante ainsi en traînant des pieds, sur fond de rave tuberculeuse ou de rock crotté (crotte-rock ?) tout ce qui lui passe par la tête : ce sont ses maux, ses mots. Ils sont terribles et crus, bruts et brutaux. Mais sa voix sait pourquoi elle chante, pourquoi elle hurle. Elle n’a juste pas le choix. Usé n’est pas un hobby.
Des bâtards enragés sur la pochette
Pas plus que ne l’est la politique pour Nicolas. Usé de se bagarrer contre la mairie et les fermetures administratives de l’Accueil froid, il s’est présenté aux municipales de 2014. Il a récolté 2,2 % des voix – et le titre honorifique de personnalité de l’année dans le Courrier picard. Il a fait campagne sur les marchés, récolté patiemment les signatures.
Il ne faut pas se laisser tromper par l’âpreté des chansons
Il a même croisé dans les bars d’Amiens les autres candidats, d’abord amusés, puis de plus en plus agacés au fur et à mesure que ce trublion volait des intentions de vote. Dans cet ancien bastion communiste passé à droite, seul le PS a tenté de le récupérer. Son rire d’enfant en dit long sur sa réponse alors.
A Amiens, Nicolas est donc un héros et une espèce menacée. Sur la pochette de son album, aux sept titres expéditifs, des chiens le protègent. Ils ont pourtant l’air docile, ces bâtards enragés : il ne faut pas se laisser tromper par l’âpreté et l’agressivité des chansons. Elles ne rejettent, ne refusent personne à l’entrée. C’est plutôt pour en sortir, surtout indemne, que c’est compliqué.
album Chien d’la casse (Born Bad Records)
concerts le 25 mai à Nantes, le 26 à Bruxelles, le 27 à Laval, le 29 à Paris (Festival Villette Sonique), le 9 juillet à Tournan-en-Brie, le 31 août à Gigors
Usé vu par JB Guillot, boss du label Born Bad
“Je suis impressionné par les artistes capables de monter en solo sur scène, sans subterfuge ni groupe derrière lequel s’abriter… Impressionné, mais aussi souvent déçu. Alors quand j’ai découvert Usé, je me suis pris une grosse claque. Seul avec ses instruments fabriqués et étranges, et ses 60 kilos, je ne pouvais m’attendre à un live d’une puissance aussi phénoménale. Une transe tribale et déflagratrice d’une rare violence. Je jubilais. Il évoluait depuis des années dans des circuits très alternatifs, celui des squats. L’ambition du label, son succès présumé le rendait infréquentable aux yeux d’une partie de cette scène super radicale. J’avais déjà essuyé de nombreux refus d’artistes issus de ces sphères, qui me trouvaient trop mou, racoleur et dans le compromis. On est toujours le Pascal Nègre de quelqu’un. Du coup, j’ai été très étonné et honoré qu’Usé accepte de signer chez Born Bad au risque de se mettre en porte-à-faux avec certains gardiens du temple, qui pourraient prendre ça comme une trahison.”
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