Du jeudi 15 au dimanche 18 septembre, le nouveau lieu alternatif parisien, la Station, accueille le premier festival Urban Spree, du nom d’un site artistique berlinois. On a décidé d’aller y faire un tour.
Comme la plupart des métropoles occidentales, Berlin – pourtant longtemps vue comme une exception – doit faire face à la menace rampante de la gentrification. La capitale allemande n’a toutefois pas (pas encore ?) perdu son âme, loin s’en faut. Il y règne toujours cette atmosphère si singulière et attachante, d’une rare quiétude.
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Par ailleurs, en marge du Berghain et autres étapes obligées du circuit touristique de base, se distinguent diverses zones non-conformes qui résistent vaillamment au processus de standardisation. La principale de ces zones se trouve à Friedrichshain, quartier emblématique de l’esprit contre-culturel berlinois, situé dans la partie Est de la ville et connu en particulier pour avoir abrité de nombreux squats et autres campements temporaires durant les années 90.
Photo Urban Spree
Un lieu alternatif
Friche industrielle s’étendant sur environ 70 000m², cette zone porte le doux nom de RAW-Gelände. Aménagée à la fin du XIXe siècle pour servir à la réparation des trains, elle a été abandonnée par la Deutsche Bahn (la société des chemins de fer allemands) après la chute du Mur et s’est peu à peu transformée en vaste aire alternative.
On y trouve non seulement une ribambelle de bars, clubs et salles de concert mais également un skate park, un cinéma en plein air, une école de cirque et danse ou encore un site d’escalade. Jalonné de bâtiments, pour certains abandonnés, l’ensemble du périmètre sert par ailleurs de terrain idéal pour les street-artistes, graffeurs et autres tagueurs.
Photo Urban Spree
C’est à l’orée de cette zone haute en couleurs que se dresse Urban Spree, lieu résolument inclassable dans lequel semble se cristalliser toute la spécificité décalée du RAW-Gelände. À la fois espace d’exposition dédié aux diverses formes d’art urbain, librairie d’art axée sur le graphisme et la photo, salle de concert, club, Urban Spree abrite en outre un grand biergarten très joliment agencé, dominé par un imposant champignon violet – détail qui donne une petite idée de l’esprit fantasque qui règne en cet endroit.
Photo Urban Spree
« Une galerie à ciel ouvert »
Tout a commencé en 2012. Au départ, il y a eu deux Français, Pascal Feucher et Nicolas Defawe. Après avoir travaillé durant 15 ans dans la finance, Pascal Feucher a complètement changé de cap pour venir s’installer à Berlin en 2012 et s’adonner à sa passion pour le street-art.
Riche d’une longue expérience dans le milieu de la nuit, Nicolas Defawe vit depuis 10 ans à Berlin, où il a auparavant co-dirigé le HBC, autre lieu très atypique. Ils ont ensuite été rejoints par Frederic Wickström, mi-suédois mi-autrichien ayant toujours vécu à Berlin, qui s’occupe de toutes les opérations de construction, et plus récemment par l’Australien Josh Murphy, qui assure la programmation musicale en binôme avec Nicolas Defawe.
Photo Urban Spree
« Le luxe à Berlin, c’est l’espace – ce qui ouvre la possibilité de faire converger en un même lieu des activités différentes », explique Pascal Feucher. « L’idée première consistait à proposer une sorte de plateforme autour du street-art et du graffiti. Le lieu a vraiment été pensé comme une galerie à ciel ouvert avec une grande surface de murs extérieurs, que des artistes sont invités à couvrir régulièrement. Une œuvre de street-art déployée sur un mur de 15m sur 10 prend tout de suite une ampleur et une intensité très fortes. S’ajoute un espace d’exposition à l’intérieur, qui permet une autre approche de l’art graphique. »
En outre, Urban Spree accueille des artistes en résidence et propose différents workshops (par exemple Make Your Own Sign, un workshop typographie animé par Rylsee et Otto Baum) – ce qui en fait un vrai foyer d’incubation artistique et confère au lieu une identité à part au sein du territoire où il s’inscrit.
« Il a fallu un temps d’adaptation avant d’être bien acceptés par les autres occupants du RAW-Gelände », précise Nicolas Defawe. « Ils nous regardaient d’un œil un peu suspicieux au début, en partie parce que nous ne sommes pas allemands, mais ils ont rapidement réalisé que nous cherchions vraiment à proposer autre chose qu’un bar ou un énième club. Maintenant, il y a une vraie bienveillance à notre égard – même si on nous rappelle de temps en temps à l’ordre quand on dépasse les limites avec des fêtes un peu étranges ou bruyantes (rires). »
Programmation bigarrée
Sur le plan musical, Urban Spree – qui se trouve tout près du Suicide Circus, l’un des principaux clubs techno de la ville, et à quelques encablures du Berghain – se veut une vraie force de contre-proposition. Très bigarrée et bien barrée, la programmation penche nettement du côté du rock le plus teigneux ou anguleux (du noise au stoner en passant par le garage-psyché, l’indus ou le doom) et ne réserve qu’une petite place à l’électro – et à de l’électro plutôt déviante.
Accueillant fréquemment des festivals, tels que Pictoplasma, A Maze, Krake ou le Seafood Festival, et participant régulièrement à des foires d’art contemporain/urbain, Urban Spree est aussi utilisé comme QG de campagne par les Piraten, parti politique très anticonformiste. De fait, il flotte un air de douce flibuste en cet antre, où tout semble possible.
Photo Urban Spree
« Nous avons vraiment voulu créer un endroit qui soit ouvert au maximum et brasse une population très large« , confirme Nicolas Defawe. En évolution constante, le lieu a récemment ajouté à sa chatoyante panoplie un salon de tatouage et une structure d’édition, Urban Spree Books, amenée à se développer.
A l’image du quartier de Friedrichshain, le RAW-Gelände – actuellement aux mains d’un groupe d’investisseurs de Göttingen – fait l’objet d’enjeux politiques et économiques importants, qui rendent très incertain l’avenir proche. Possible que l’aventure Urban Spree s’arrête fin 2019 lorsque le bail arrivera à son terme. D’ici là, le lieu nous réserve encore pas mal de surprises.
Du 15 au 19 septembre, la Station accueille le Urban Spree Festival. Au programme des concerts et DJ-sets variés (Etienne Jaumet, Belly Button, Dat Politics, Rancune, December, etc.)
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